Léon le Magnifique premier Roi de Sissouan ou de l'Arménocilicie

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  Léon était loin de méconnaître la puissance de Salaheddin, le nouveau conquérant de l'Orient. Ses forces, qu'il cherchait à augmenter toujours pour atteindre son but, il savait qu'elles étaient bien inférieures à celles de ce dernier. La prudence lui inspira l'heureuse idée d'avoir recours, pour s'en défendre, à l'alliance et à l'aide du plus puissant des souverains de l'occident, qui venait justement de se mettre à la tète d'une nouvelle et troisième croisade, de Frédéric I surnommé Barberousse, empereur d'Allemagne. Celui-ci, jeune encore, s'était enrôlé dans la seconde croisade qui partait pour la délivrance de la Terre Sainte. La mort de son père, arrivé en 1147, ne l'avait pas retenu. Mais il était revenu bientôt après avec tous les chefs de l'expédition, sans avoir obtenu de succès.

Il y avait quarante ans qu'il était sur le trône. Non content d'avoir fait parler, dans tout l'occident, de lui-même, de sa politique, de ses guerres, de sa fortune toujours favorable et de ses hostilités avec le Pontife romain et les Etats d'Italie, il enviait encore un empire universel, qu'il croyait au légitime successeur des anciens Césars de Rome, tel qu'il se considérait. A la fin, fatigué ou vaincu et réconcilié avec tout le monde, il brillait encore, dans un âge avancé, de tout l'éclat de la majesté royale.

Dans les derniers vingt ans du XII siècle, Frédéric, en Occident, et Salaheddin, en Orient, étaient les deux personnages de l'époque. Tous les deux l'emportaient sur leurs ancêtres par leur vaillance, par leur politique et par leur ambition. Tous les historiens le proclament. Mais il ne le disent pas pour Léon, qui ne commença à se rendre vraiment célèbre que vers le déclin des jours de ces deux monarques dont l'un mourut en 1190 et l'autre en 1193. Doué des mêmes brillantes qualités, ce « Montagnard » Baron d'Arménie, qui, de jour en jour, se faisait plus puissant, ne leur était inférieur, que par le nombre de ses sujets et l'étendue du territoire qu'il avait sous son autorité, mais il était leur égal par le génie et la vaillance. Le but vers lequel le poussait son ambition aussi généreuse que la leur, il sut l'atteindre par son adresse et il joua, lui aussi, un rôle important, bien que dans une sphère bornée, ou plutôt moins connue.

Il ne regardait pas comme digne de lui de se donner lui-même l'honneur de la royauté auquel il aspirait, il voulait qu'il lui fut décerné par un souverain bien au-dessus de lui, trouvant cela plus en conformité avec les lois féodales du temps. Mais pour y parvenir, il lui fallait d'abord prouver qu'il méritait d'être Roi, par ses hauts-faits, par l'étendue de ses Etats, par le nombre de ses vassaux et ensuite demander la couronne royale.

Il commença donc par reculer les frontières de son pays. Il était concentré alors dans l'espace qui va des monts Taurus à la mer, il s'étendit vers l'occident, au-delà de la rivière de Calycadnus, dans la Cilicie Trachée, et parvint peu à peu jusqu'au golfe de Pamphyle et à la grande ville d'Attalie; d'où, passant les monts, au-delà de l'Isaurie, Léon s'empara de Tiana et de Héraclée. C'est de ce côté qu'il vainquit le puissant sultan d'Iconie et de l'Asie-Mineure et qu'il éleva une barrière à ce souverain toujours redoutable, mais dont les forces se trouvaient insuffisantes contre celles de notre Baron, étant paralysées par les querelles intestines et l'ambition dévorante de ses fils, dont quelques-uns eurent recours à Léon pour se protéger contre les autres. A l'Est, il poussa sa marche conquérante jusqu'à Amanus, et après en avoir franchi «les Portes », il se rendit maître des châteaux-forts de la frontière d'Antioche. Il remit à un temps plus favorable le soin de se débarrasser de la suzeraineté purement nominale du Prince d'Antioche.

Avec cette étendue de territoire et sa souveraineté sur soixante ou soixante-douze barons, en même temps seigneurs d'autant de forteresses, il se croyait assez puissant pour réclamer le trône royal. D'autant plus que, depuis la prise de Jérusalem, le royaume des Latins n'existait plus en Orient, d'autant plus encore que Chypre aspirait aussi à l'honneur de la royauté. Il crut donc le moment venu de rehausser son pouvoir dans son pays, entouré maintenant de trois grands peuples de langues et de religions différentes: les Grecs, les Turcs et les Latins. Il avait l'intention d'en faire la proposition à l'empereur Frédéric Barberousse. C'était de lui qu'il voulait recevoir la couronne. Il voulait aussi recevoir les insignes de la royauté du souverain Pontife romain dont la main puissante guidait l'Occident et bénissait l'Orient.

Il méditait sur ces projets lorsque, vers la fin de 1189, le pape Clément III, lui écrivit une lettre en même temps qu'il en écrivit une autre sur le même ton au Catholicos Grégoire Degha, pour leur annoncer le départ de la Troisième Croisade. Dans ces lettres, le Pape, les priait instamment tous les deux de porter intérêt aux occidentaux qui couraient à la délivrance de la Terre Sainte, de leur fournir des subsides en armes et en argent, de les aider de leurs personnes, afin de participer aux mêmes grâces spirituelles.

Il est permis de croire que Léon, exhorté par cette lettre, pressé par Guillaume, archevêque de Tyr 1, arrivé deux ans auparavant, et par d'autres ambassades de l'Occident qui venaient lui demander aide et protection pour la délivrance de la Sainte-Ville et des Chrétiens de l'Orient; il est permis de croire, dis-je, que Léon avait pris les devants et avait écrit ou envoyé auprès de l'empereur, dont il avait appris les préparatifs d'expédition, pour lui offrir l'aide de ses troupes, selon son pouvoir, et qu'en revanche, il avait sollicité auprès de lui le titre de Roi, afin de pouvoir dorénavant gouverner ses Etats, sans se rendre suspect aux Grecs, tout en se considérant comme vassal de l'empire romain.

Notre assertion se trouve confirmée par le témoignage d'un sérieux chroniqueur contemporain, qui, parlant de notre Catholicos, toujours de même avis en tout que Léon, dit: «Le Catholicos, ému en son cœur, toujours occupé à demander en larmes et par d'instantes prières la délivrance de la Sainte-Ville et du peuple, écrivait aux rois grecs et latins pour les supplier d'accourir, s'ils le pouvaient, au secours des Chrétiens».

L'empereur d'Allemagne, rassuré par l'offre d'alliance de Léon, envoya, avant son départ, une lettre à Salaheddin, dans laquelle, si elle est authentique il fait l'énumération des peuples et des princes ses alliés, et il ajouta: «Numquid etiam scire dissimulas Armeniam et innumerabiles alias terras nostræ ditioni subjectas?» Nous pourrions donner le même sens aux paroles de notre historien Vartan, d'après lequel l'empereur aurait écrit, d'Iconie, une lettre au Catholicos Grégoire, dans laquelle il lui disait: «Je tiens une couronne et des habits royaux pour celui que tu voudras proclamer Roi».

Après l'envoi de la lettre du pape, Frédéric se mit en route avec plus de deux cent mille hommes, beaucoup de princes et d'évêques, et accompagné de son fils qui portait le même nom que lui. Il traversa la Hongrie, et, après un mois de marche il entra sur le territoire de l'empereur d'Orient. C'était alors Isaac-Angel, allié secret de Salaheddin et ennemi tacite de Frédéric. Il fit de belles promesses à Frédéric et le pressa de passer en Asie. Mais celui-ci s'était aperçu des perfides manèges du byzantin. Après avoir exigé de lui un certain nombre d'otages, il passa l'hiver en Thrace et traversa, en 1190, après les fêtes de Pâques, l'Hellespont et les provinces grecques, les habitants commencèrent à se montrer malveillants envers les nouveaux-venus.

Delà, il entra dans le territoire du sultan Kelidge-Aslan on lui manifesta plus d'hostilités. Il fut alors obligé de répondre par la force à la force: il défit les soldats du sultan, prit à l'assaut Iconie, sa capitale et força le sultan à s'humilier devant lui, à lui livrer des otages et des rançons de valeur 2. Ensuite, il se fraya un chemin à travers ses provinces, se dirigeant du nord au sud-est et parvint ainsi aux frontières nord-ouest des Etats de Léon. En chemin, il avait écrit, dit-on, trois lettres à celui-ci, mais ni courriers ni lettres n'étaient arrivés, car les Turcomans et les Turcs gardaient les passages, afin d'empêcher toute correspondance entre les Allemands et les Chrétiens.

En outre des périls auxquels ils étaient venus s'exposer, les Croisés ne tardèrent pas à se trouver dans une grande détresse. Les fatigues qu'ils éprouvaient en suivant des chemins inconnus pour eux, à travers des pays incultes, et surtout le manque de vivres les décimaient plus que le glaive des ennemis et diminuèrent considérablement la multitude des troupes de leur armée.

1 II est réputé comme le plus illustre parmi les historiens des Croisades; il était en Syrie.

2 S. Nersès de Lambroun, fait une belle description du voyage de l'empereur: «Le roi d'Allemagne Fildrik, dit-il, qui était en même temps, empereur de Rome, et le plus puissant de tous les souverains, arriva. Il ne voyagea point par mer mais par terre. Entré avec une innombrable armée en Hongrie, il vint passer l'hiver en Macédoine, à Philippolis, et traversa, après les fêtes de Pâques, la mer de l'Annonciation (?). Puis, quand il eut coupé, après des efforts inouïs, les innombrables troupes des nomades Turcomans, il descendit auprès de la ville de Séléphe, en Isaurie». Le Saint écrivait ceci, quand ses yeux rayonnaient encore de joie et d'espérance, mais plus tard, à huit ans de quand ces mêmes yeux voilés de larmes allaient se fermer pour toujours, il finissait par ces dernières lignes sorties de son cœur: «Nous avons vecu dans un temps toute sa splendeur se ternissait, car nous avons vu de nos yeux la prise de la Sainte Ville de Jérusalem le pied de Notre-Seigneur s'était posé. Jérusalem fut arrachée des mains des fidèles, en l'année 636 de l'ère arménienne, par les Ismaélites qui y firent couler le sang à flots de tant de peuples latins, venus sur de nombreux vasseaux, en Palestine, poussés par leur foi et leur courage, et gisant maintenant tout autour de la ville, selon le Psaume: «Il n'y avait plus personne pour ensevelir nos morts et nous restâmes en butte aux insultes de nos voisins!».

Mais après ces paroles, un éclair semble jaillir encore de ses yeux à demi-clos et il s'écrie: «Jusqu'à la fin de l'an 647, pendant le cours du quel fut comblé d'honneurs le Roi d'Arménie, Léon des Roupéniens, le pieux, le valeureux en Dieu».