Léon le Magnifique premier Roi de Sissouan ou de l'Arménocilicie

Հեղինակ

Բաժին

Թեմա

  L'on a vu au commencement de notre récit que Léon avait épousé sa femme, non pas par inclination mais par raison politique. Quand il fut arrivé au pouvoir, il redoutait le prince d'Antioche et, pour se maintenir en bonnes relations avec lui, il avait pris le parti de s'apparenter avec lui en contractant un mariage dans sa famille. Léon tenait sa femme en grande estime; il n'en eut qu'une seule fille, que du nom de sa propre mère il appela Rita. Il est inutile de dire ce que Léon dût éprouver lorsqu'il apprit que sa femme lui était infidèle. En sus des droits qu'il avait naturellement, Léon, «était plein de cœur » selon l'expression de l'historien. Il ordonna de mettre à mort les coupables. Quant à son épouse qu'il avait élevée au plus haut échelon des honneurs, qu'il avait faite reine, on affirme que, ne pouvant contenir sa colère, il la battit cruellement et qu'il l'aurait tuée si le Connétable Constantin ne fut pas arrivé à temps pour la retirer de dessous ses coups et ne l'eût pas fait enfermer, par ordre du roi, dans le lieu de détention des hauts personnages du royaume, le fort de Vahga. Léon envoya alors sa fille Rita auprès de sa mère, à lui, la Princesse des princesses, pour que celle-ci prît soin de son éducation, car elle était sa seule héritière.

Depuis longtemps, Léon se demandait à qui il laisserait son royaume qu'il avait acquis au prix de tant de peines et d'efforts, et qu'il avait fait si magnifique. C'était un grand chagrin pour lui de n'avoir point de fils et d'être obligé d'abandonner l'espérance d'en avoir jamais un, après avoir chassé la reine de son palais. Pour le moment il ne songeait nullement à contracter un nouveau mariage. Guiragos, j'ignore, sur quel fondement il s'appuie pour cela, dit que Léon mérite des éloges pour tout ce qu'il a fait, excepté pour ce second mariage. Il en parle comme si le roi avait chassé sa première femme parce qu'il ressentait une vive passion pour une autre. Je pense que si Léon avait eu de pareilles idées, il les aurait mises à exécution auparavant, lorsque la faute de l'antiochienne lui fut révélée. Celle-ci était morte, probablement au fort de Vahga, quand Léon, cinq ans après, épousa la Chypriotte Lusignan; autrement il aurait été impossible pour Léon d'éviter les reproches et même l' anathême du Pape Innocent, qui était sévère pour ces sortes de choses.

Pendant que Léon hésitait à choisir son successeur au trône d'Antioche, Rita, sa mère lui donna le conseil de choisir Roupin-Raymond, l'héritier du trône d'Antioche. Celui-ci avait alors, en 1209, à peine douze ans. Chassé par le Comte de Tripoli, il se trouvait auprès de Léon. On lui enseigna les langues française et arménienne, comme c'était l'usage à cette époque. Léon avait déjà décidé de l'adopter dès sa naissance s'il n'avait pas de fils. C'est pour cela « qu'il ordonna de l'élever avec le plus grand soin. Plus ce jeune prince grandissait en âge, plus Léon, se réjouissait en Roupin, car c'était un enfant de grand esprit, de haute taille; il avait des cheveux blonds qui ressemblaient à des fils d'or; il se montrait cavalier loyable, il avait une attitude princière, ses manières imposaient le respect, ses mœurs étaient pures ».

Alors Léon persista dans sa détermination. Sur l'avis de sa prudente mère, en présence d'un grand conseil, quand il jugea le moment favorable «'il présenta à tous ses sujets, à ses vassaux grands et petits, le véritable héritier de son royaume, Roupin, l' enfant de la fille de son frère Roupin ». Ce ne fut pas qu'une fois seulement qu'il le fit, mais «deux ou trois fois, à différentes époques et il fit prêter à tous ses sujets serment de fidélité envers le jeune Roupin, pour qu'aussitôt après sa mort, ils lui fussent soumis » 1. A deux ou trois reprises, le jeune prince entra dans Antioche et en fut chassé alternativement, mais cela n'émut pas Léon, car dans tous les cas, se disait-il, Roupin lui succéderait sur le trône de Sissouan et aurait alors plus de facilité pour reprendre Antioche. Et ces deux grandes principautés réunies et gouvernées par un seul souverain auraient alors formé un puissant royaume. Léon ne se préoccupait pas de ce que les coutumes arméniennes s'en trouvassent dérangées, car les Arméniens imitaient déjà les Antiochiens leurs voisins, en outre ils étaient d'accord sur les dogmes de la foi, et Roupin, élevé au palais de Léon, y avait été instruit plutôt selon la manière des Arméniens que selon celle des Francs. Il avait, d'ailleurs, fait tout pour pouvoir adopter cet enfant et l'avait gardé auprès de lui pour en faire son successeur, écartant tout ce qui pouvait y mettre obstacle.

Dans ce but, Léon fut obligé, de commettre une triste action que les lois et la coutume barbare de cette époque autorisaient, coutume qu'on avait observée fréquemment à la cour des Byzantins; de crever les yeux ou de mutiler les prétendants ou les aspirants au trône. Des prétendants au trône de Sissouan ne pouvaient se trouver que dans la famille des Roupéniens. Or, il ne restait de cette illustre maison qu'un seul fils naturel de Melèh, oncle de Léon, nommé Gorg ou Georges. Ce Gorg avait le caractère de son père: C'était « un homme altier, intrépide dans les combats, aimant les plaisirs des festins, entouré de nombreux partisans dont beaucoup l' avaient pris en affection. Le roi eut peur qu'à un moment donné il ne vînt à briguer l' héritage de son royaume ». Bien que Gorg fut illégitimement, Léon le considérait comme appartenant à sa famille, à ce point que quelques intrigants vinrent auprès du roi le couvrir de graves calomnies et arrachèrent à celui-ci la permission de se saisir de sa personne et de lui crever les yeux. Nous ignorons quelles raisons ils invoquèrent pour en arriver et nous croyons que Gorg fut plutôt la victime des soupçons et de jalousie que l'objet d'une représaille légale.

Jusqu'à sa dernière et victorieuse entrée dans Antioche, en 1216, il mit Roupin sur le trône qu'avait usurpé le Comte de Tripoli, Léon conserva son idée de faire en même temps de ce prince son successeur. Il l'avait annoncé à ses sujets et aux étrangers et même au Pape Innocent ainsi qu'à Honoré III, qui succédà à Innocent, ainsi que l'atteste une lettre d'Honoré adressée à Léon le 25 Juillet 1217. « Nobili viro Raimundo Rupini nepoti tuo, Principi Antiochensi . . . disposuisti eidem tamquam vero heredi regni Armeni æ assignare coronam, etc. ».

1 Passage de notre historien royal.