Léon le Magnifique premier Roi de Sissouan ou de l'Arménocilicie

Հեղինակ

Բաժին

Թեմա

  La nation arménienne, ayant occupé et rempli de sa race deux des grandes parties de l'Asie Occidentale, à gauche et à droite de l'Euphrate; l'une, parce qu'elle s'y était implantée dès son origine, l'autre, parce qu'elle l'avait conquise et colonisée, leur avait donné le nom de Grande et Petite Arménie. Poussée par cette destinée irrésistible qui bouleverse ou modifie les Etats, qui fait d'une peuplade un grand peuple, elle fut bientôt forcée de s'ouvrir, à grand effort et au prix de son sang, un nouveau champ, une nouvelle Arménie.

Une faible portion de sa population laissa derrière elle les hordes rapaces du Turkestan qui allait ébranler la terre et, se trouvant en face du vieil Empire byzantin, ces deux puissances auxquelles s'était soumise la presque totalité des Arméniens, une portion de sa population, disons-nous, réunion confuse des familles Ardzerouni, Bagratouni, Bahlavien, Vanantien et Sassounien, s'en vint errer entre la Cappadoce et les provinces de l'Euphrate. Mais, exaspérée à tort ou à raison contre les Grecs et refoulée par eux, elle fut bientôt forcée de se glisser furtivement vers le Sud-Ouest, et s'arrêta dans des régions elle croyait moins redoutable la lutte contre les habitants que contre les difficultés naturelles de leur pays sauvage. Ce fut alors que ces Arméniens errants, par leurs efforts inouïs, en bravant la mort, parvinrent à s'affranchir par les armes du joug qui pesait sur eux et à contraindre la nature à force d'opiniâtre persévérance à leurs devenir clémente. Imitant leur héroïques, leurs légendaires ancêtres, ne démentant point la race de ces terribles et vigoureux géants tant renommés, ces braves archers 1, paraissaient toujours armés des grands arcs que leur avaient légués leurs pères et qui n'étaient qu'un jouet pour leurs robustes bras. Avec une inflexible ténacité, ils se frayèrent un chemin à travers les épais massifs de cèdres et de sapins qui couvraient les rocs du Taurus; ils s'enfoncèrent dans les gorges et les ravins de ces montagnes inconnues qu'avait rarement foulées pied humain, du sommet desquelles descendaient des torrents impétueux dont la nature forçait les sources à jaillir. Ils allèrent à travers ces torrents et ces ravins à la recherche des endroits ils pourraient mettre les pieds; chassèrent les habitants des grottes de ces montagnes ciliciennes, comme des aigles chassés de leurs aires chassent à leur tour les vautours de leurs nids, et s'établirent dans des châteaux-forts qui semblaient des nids accrochés aux cimes inaccessibles. Ils suivirent en cela l'exemple des anciens et fameux brigands de ces mêmes contrées dont ils trouvèrent encore çà et quelques demeures abandonnées et à demi effondrées.

Une fois à l'abri dans ces repaires, ils commencèrent à descendre et à s'avancer pas à pas vers la plaine, s'emparant chaque jour d'une parcelle, d'un lambeau de terrain. Enfin, ils occupèrent toute la Cilicie, dans sa plus vaste étendue, et la gardèrent en maîtres durant plus de deux siècles. Ressérés dans d'étroites limites, entourés de voisins puissants, peu endurants, agités et remuants, les Arméniens présentèrent au monde un spectacle capable d'étonner, qui mérite d'être enregistré dans les annales du moyen-âge, spectacle véritablement digne d'admiration et qui appelle la considération de tout historien de cette époque et de tous les temps.

Qui fut donc l'instigateur de cet acte d'audace ou de désespoir? Et par quelle cause particulière a-t-il été poussé à l'accomplir? Tous ceux qui connaissent un peu l'histoire de notre pays le savent bien et se rappellent la fin tragique de Kakig, le dernier roi de la dynastie des Bagratides; ils se souviennent des évènements qui amenèrent cette fin cruelle. Déjà, la prise par trahison de la ville d'Ani avait exaspéré les Arméniens contre les Grecs: depuis longtemps les querelles religieuses avaient irrité les premiers contre ceux-ci. La mort tragique de Kakig vint allumer dans le cœur des Arméniens une haine plus encore violente.

Les difficultés naturelles du pays et son éloignement du siège du gouvernement de l'Empire, le peu d'énergie politique de ce gouvernement qui ne sut point réprimer dès le début, la révolte de sujets qui ne parlaient point sa langue et n'avaient point ses manières de voir, la situation du pays entre les provinces des Kamirs (Cappadoce) et de Lycandon, furent un puissant auxiliaire à la révolution et augmentèrent l'audace de ceux qui la fomentaient. Cependant, comme toutes les colonies des Arméniens disséminés dans cette région ne voulaient pas favoriser la rebellion des Bagratides et de leurs partisans, ceux-ci comprirent qu'ils ne pourraient pas longtemps tenir tête aux nombreux Grecs qui s'étaient fixés dans les plaines, au milieu de ces colonies. Ils prirent alors un parti: ils se retirèrent dans les châteaux-forts et dans les grottes des montagnes et purent de défendre leur indépendance et harceler sans cesse leurs adversaires.

1 Moïse de Khorène I. 10,