Léon le Magnifique premier Roi de Sissouan ou de l'Arménocilicie

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  Léon avait reporté toutes ses pensées sur les affaires intérieures de son pays et y avait mis tout son cœur. Il ne songeait plus à ses voisins. Son seul souci était de remettre son royaume dans des conditions prospères à son successeur qui tardait à venir. Il voulait le voir pour écarter tout motif à contestations derrière lui. Mais sa fin arrivait à grand pas. Comme il se sentait le cœur toujours jeune, l'esprit toujours vif, il ne prévoyait pas, cela arrive souvent, que sa dernière heure allait sonner. Les visages de ceux qui l'approchaient le lui laissaient voir pourtant. La triste nouvelle de sa fin prochaine se répandait à sa cour et au dehors; mais qui donc eût osé l'en avertir? Qui donc eût osé faire entrer le spectre de la mort dans la chambre de Léon? Il fallait avoir pour cela cette langue de feu brûlant d'Isaïe ou d'Ezéchiel. La circonstance la fit trouver. Ce fut le patriarche du pays, ce fut le vieux Catholicos Jean qui fut chargé de cette pénible mission.

Accompagné des princes, il se rendit donc auprès du roi à qui il fit voir plutôt par sa contenance que par ses paroles, l'émotion de son cœur. Le roi le comprit tout de suite et sentit qu'il devait dire adieu à la vie. Il voulut dignement mourir comme il avait vécu, en maître et en souverain. Il savait qu'une heure lui était accordée. Avant que ses forces l'abandonnassent complètement, il voulut, selon la belle expression de notre docteur Élysée le doucereux, il voulut changer la mort connue en l'immortalité. Et comme au temps il était plein de vigueur, à moitié chemin de sa vie, on l'avait vu, à l'annonce de l'approche de l'ennemi, bondir le premier pour se jeter à sa rencontre, au-delà de ses frontières, plutôt que de le laisser faire un pas sur son territoire, on le vit rappeler son courage d'alors pour arrêter l'implacable ennemi qui se dressait maintenant devant lui, lui défendre d'entrer dans son palais, et indiquer lui même le lieu il voulait que sa dépouille mortelle fût déposée.

Ce ne fut pas pour imiter son grand rival qui, par bravade ou par sophisme, fit promener en ville le linceul qui devait l'envelopper comme le signe et la bannière de la vanité et du néant de la grandeur de ce monde, et pour montrer à la foule tout ce qui lui restait à emporter avec lui de toutes les conquêtes qu'il avait faites sur cette terre 1. Non ! c'est la croix que Léon fit porter devant lui jusqu'à l'endroit il voulait que sa tombe f û t creusée; c'est elle qui avait été comme une auréole à son front; c'est la croix du Christ qu'il confessait sincèrement et par laquelle il espérait avoir part à la mort comme au royaume du Maître de l'univers. C'est la vraie gloire d'un roi que de mourir en Chrétien !

Dans le silence de son cœur, il dit adieu à son trône, et à son palais, et salua pour la dernière fois son magnifique monument, la fameuse forteresse de Sis. Il ordonna de le transporter, en palanquin ou sur un char, n'importe il demanderait.

On était au printemps. Les vallées, les sommets des collines se couvraient de fleurs, qui les paraient de leurs couleurs et les embaumaient de leurs parfums. Les hauts plateaux de la Cilicie revêtus de leur beauté ordinaire, semblaient plutôt s'être préparés pour une joyeuse fête que pour la dernière heure d'un mourant. A travers cette route découverte, par la vue du sublime temple de la nature, Léon semblait pénétrer au vrai, au plus saint temple divin: il ordonna de s'acheminer doucement vers le monastère d'Aguenère. C'est dans ce monastère, son propre édifice, qui lui plaisait plus que tous les autres lieux saints de Sissouan, qu'il voulut reposer sa glorieuse tête fatiguée.

Partout il faisait arrêter, il faisait venir près de lui ses dignitaires et les princes, leur donnait de sages conseils et les exhortait à s'aimer mutuellement; l'amour du prochain étant l'unique lien de la société. Il les exhortait encore à redoubler de courage pour défendre leur patrie dont il laissait le soin de l'agrandir à ses successeurs. C'est à eux qu'incomberait aussi le soin de repousser l'ennemi.

Il leur recommandait surtout et leur rappelait leur serment de rester fidèles à sa fille leur reine, à laquelle il donnait pour tuteurs ses principaux barons, Sir Adan, alors sénéchal du royaume et le connétable Constantin qu'il avait nommé intendant de son palais. Tous les deux furent désignés pour être les Baillis de Zabèle. Il recommandait au patriarche Jean de leur venir apporter son concours lorsque les circonstances le réclameraient. Dans ce moment solennel et si émouvant, il répétait aux barons qui étaient venus l' un après l' autre se joindre au cortège, les promesses formelles qu'ils avaient faites ainsi que lui-même, de couronner sans contestations, dès qu'il serait arrivé, le jeune prince royal de Hongrie, de l'unir à sa fille, héritière du trône, et de proclamer l'un roi, l'autre reine d'Arménie. A la fin, il leur fit renouveler leur serment au village de Merouan Léon fit arrêter le cortège; il sentit qu'il ne pourrait pas aller plus loin.

Il avait donné à chacun le conseil qu'il jugeait bon; et comme un dernier testament avant de faire éloigner tous ceux qui l'entouraient, il demanda à tous de prier pour lui, comme pour un autre simple mortel, et d'offrir le sacrifice de la vraie foi chrétienne. Il dit qu'il désirait être enterré dans le monastère d'Aguenère, il se rendait.

Resté seul, il se recueillit, pour ne plus penser qu'à son âme qui allait quitter son enveloppe mortelle. Dans sa dernière retraite, il fit venir son confesseur, intermédiaire entre lui et Dieu. C'était le plus célèbre Vartabied de ce temps, l'intime de S. Nersès de Lambroun, dont il avait hérité du zèle ardent, Grégoire de Skévra. Léon courba son front puissant sous la main qui le bénissait de la part de Dieu et lui rendit compte de sa vie avant de se présenter devant la justice divine. Puis « après avoir confessé la vraie doctrine de l'Église, ainsi que s'exprime l'historien, il reçut le saint viatique des mains du vénérable docteur, en rendant grâce à Dieu », en même temps qu'il lui remit son âme qu'il avait montrée si grande pendant sa vie.

Le jour d'éternelle mémoire, était le premier ou le second jour de Mai de l'année 1219; DCLXVIII de l'Ère arménienne. Léon avait dominé en tout 32 ans, comme Baron et comme Roi.

1 Beaucoup affirment que ce fut Salaheddin qui ordonna de faire ainsi, d'autres soutiennent que ce fut un autre prince d'Orient, un sultan musulman.