Léon le Magnifique premier Roi de Sissouan ou de l'Arménocilicie

Հեղինակ

Բաժին

Թեմա

  Nous avons dit plus haut quels étaient les traités qui avaient été passés entre Léon et le prince d'Antioche qu'il tenait prisonnier. Il avait été stipulé que si Alice, fille de Roupin II, accouchait d'un enfant mâle, celui-ci hériterait du trône d'Antioche. Ce fut justement un garçon que cette princesse mit au monde. Raymond, père du prince nouveau-né, mourut prématurément en 1198, selon quelques-uns des suites d'une passion violente, selon d'autres blessé mortellement par des traîtres ismaélites. Avant de rendre le dernier soupir, ce Raymond fit venir son vieux père Bohémond III et lui fit jurer encore une fois que, selon l'acte signé, il devait faire asseoir sur le trône son fils encore dans le plus tendre âge et lui donner son propre nom et celui de son aïeul maternel, et l'appeler Roupin-Raymond. Le vieillard prêta serment et désigna l' enfant pour son successeur. Raymond fit aussi jurer à tous ses gens, qu'aussitôt après sa mort, ils seraient fidèles au jeune prince et s'en reconnaîtraient les vassaux. Les dernières volontés du mourant furent scellées et remises à Léon.

Mais le fils cadet du dit Bohémond, s'était déjà emparé de la moitié de la principauté de ce dernier. On l'appelait Comte de Tripoli. Il était, comme l'indique le surnom de le Borgne qu'on lui avait donné, court de vue mais fin d'esprit. Jaloux de la grandeur de Léon qui était roi depuis peu de temps et sachant qu'Antioche devait passer, après la mort de son père, au jeune prince Roupin, alors sous la protection de Léon, il résolut de s'y opposer. Il prévoyait bien aussi, lui qui était non moins fier et ambitieux que Léon, que celui-ci soumettrait tout le pays d'Antioche à Roupin-Raymond et qu'alors il pourrait affronter toutes les puissances occidentales établies en Orient. Alors, sans aucun égard pour l'âge de son vieux père qu'il voyait fidèle aux droits de son fils aîné et de son successeur, il se fit de nombreux partisans et chassa son vieux père du trône dont il s'empara et se fit proclamer Prince d'Antioche.

Léon, fort des promesses du prince et des actes conclus, ne s'attendait point à ce coup qui le laissa un moment déconcerté. Bien que la gestion de son nouveau royaume lui prît tout son temps, il se hâta de réunir autant de soldats que le moment lui permettait et vint étouffer ce commencement de rébellion avant qu'elle n'eût pu s'étendre. C'était une lutte de fin contre fin, d'obstiné contre obstiné, et d'un côté comme de l'autre on prolongeait les hostilités. Le soi-disant prince savait qu'avec ses seules forces il ne pourrait pas tenir tète longtemps à Léon; par des promesses et des manèges il se gagna les braves chevaliers des deux ordres des Hospitaliers et des Templiers. Depuis quelque temps, ces derniers n'étaient plus en bons termes avec Léon, parce qu'il leur avait pris la forteresse de Gasdim que Saladin, lors de son invasion, avait laissée de côté. Quant aux autres chevaliers, il paraît qu'ils avaient aussi quelque raison d'en vouloir à Léon contre lequel ils s'unirent avec le Comte de Tripoli, ce fils dénaturé de Bohémond III. Ce nouveau contretemps ne découragea nullement Léon. Il vint rapidement assiéger Antioche et la serra de près. Il croyait que toute la ville n'épouserait pas la cause du Comte et qu'elle respecterait les traités d'alliance et les actes passés.

De son côté, le Comte voyant que les Chevaliers ne parviendraient pas à repousser Léon, anima contre lui son voisin le plus proche et son plus terrible ennemi, le Sultan d'Iconie, Kelidge Arslan II Keïkhosrou. Léon eut alors à s'opposer à quatre et même cinq puissances dont il était entouré; car le Sultan d'Alep fut excité lui aussi 1 par le Comte de Tripoli, à venir prêter main-forte à son coreligionnaire, le Sultan d'Iconie contre Léon. Celui-ci, ayant fait surprendre par ses espions les envoyés du Comte, leur fit avouer tout ce que leur maître tramait contre lui. Pris de peur, ils dirent tout ce qu'il en était. Alors Léon jugea qu'il devait avant tout se jeter sur le plus fort: il s'éloigna d'Antioche et fit irruption dans le pays de celui qui portait le même nom que lui, lion, et s'appelait aussi glaive (Kelidje), et fit reculer ce dernier. Ensuite, il détacha les Chevaliers du parti du Comte qu'il vainquit avec leur aide. Alors il chassa l'usurpateur du trône sur lequel il remit le vieillard à qui il confia l'héritier légitime, le jeune Roupin-Raymond 2.

Ces év è nements durèrent trois mois 3. Ce fut pendant l' été de l'année du couronnement de Léon, en 1199, ou l'année d'après. Léon rendit compte au Pape de ce qui venait de se passer et lui manda à cette occasion un ambassadeur à qui il remit des lettres et des présents, auxquels le Pontife avait droit par son haut rang. Celui-ci lui répondit: « Nos per eumdem Nuntium tuum magnifice et liberaliter visitasti ».

L'ambassadeur était Robert, de la famille des Seigneurs de la célèbre forteresse de Margat, située sur les côtés de la Syrie, entre Antioche et Tripoli, et appelée aujourd'hui Kalath-el-Markab. Cette forteresse avait été vendue quinze ans auparavant, en 1186, aux Chevaliers de l'Hôpital. A cause de cela, Robert était entré au service de Léon qui le traitait de « son fidèle et cher militaire » 4.

Léon, dans ses lettres, après avoir informé le Pape de tous les incidents survenus à Antioche, lui disait que son ambassadeur lui raconterait le reste. Il le priait en même temps de lui rendre justice et de mettre un terme aux agissements de l'usurpateur Comte de Tripoli, de lui venir en aide, à lui Léon, le plus vite possible et de protéger la terre de Syrie, avant que toute espérance de pouvoir arriver à le faire fût évanouie.

Le Pape, dans sa lettre du 17 Décembre, lui répondait qu'il ne doutait pas certainement que ce qu'il lui avait écrit ne fût vrai, mais que les droits de justice exigeaient qu'on interrogeât les deux partis controverses; c'est pour cela qu'il soumettait la question à deux de ses Nonces, pour la juger impartialement. Il priait encore Léon de ne pas préférer ses intérêts personnels aux intérêts généraux, c'est-à-dire l'alliance avec les Croisés, d'autant plus que le père du Comte de Tripoli, Bohémond III, depuis qu'il avait été remis sur le trône, avait écrit au Pape pour le supplier de s'instituer le protecteur de son petit-fils.

Le même jour, le Pape avait remis encore une autre lettre pour Léon, dans laquelle il lui exprimait toute sa satisfaction de le voir s'offrir spontanément à prendre part à la Croisade et à marcher contre les Sarrasins et, pour lui prouver le contentement qu'il en ressentait, le Pape lui envoyait, pour souscrire à la demande de l'ambassadeur, la bannière de S. Pierre, qu'il lui remettait, afin qu'il allât avec cette bannière combattre les ennemis de la Croix 5.

Le même jour encore, le Pontife Romain écrivait aussi aux principaux Barons de Léon, à Pagouran (dans sa lettre, écrit Pagan), qui doit assurément être l'oncle maternel de Léon et le Seigneur de Babéron, et à Aron, ainsi qu'il est indiqué dans la lettre. Ce dernier n'étant pas cité dans l'histoire et son nom ne se trouvant pas dans la série des Seigneurs de châteaux-forts, je pense que ce doit être le Aiton des Latins et le Héthoum des Arméniens, Seigneur de Lambroun et frère de S. Nersès de Lambroun. Le Pontife Romain leur annonçait dans ces lettres qu'il envoyait une bannière au roi Léon et les engageait à s'unir avec lui et les autres Croisés, contre les ennemis des Chrétiens 6.

Au mois d'Octobre 1201, dès le retour de son ambassadeur, Léon adressa de Sis une lettre de remerciement au Pape. Cette bannière du Chef de l'Église universelle, ajoutée aux trois couronnes royales que Léon avait reçues des Souverains des trois plus grandes puissances de ce temps (de l'Empereur d'Allemagne, de l'Empereur de Constantinople et du Calife des Musulmans ), on serait tenté de dire qu'elle rehaussa la majesté de notre Roi et qu'elle sembla le placer au-dessus non seulement de tous nos autres souverains couronnés, ses prédécesseurs et ses successeurs, mais même encore au-dessus de tous ses contemporains. Ce qui nous rend plus glorieux, c'est que son seul mérite valut à Léon ces couronnes et ces faveurs et qu'il marcha de pair avec tant d'illustres souverains qu'il contraignit, en quelque sorte, ou à s'abaisser et lui rendre hommage ou à le respecter en l'égalant à eux. Ainsi donc, si je ne m'abuse, ce fut le point le plus haut de la gloire de Léon et de tout son peuple arménien.

Aussi grande fut l'estime du Pape pour notre Roi, aussi grand fut l'espoir qu'il fondait dans son Alliance avec les Croisés, auxquels Léon promettait, en 1203, d'envoyer vingt mille soldats auxiliaires, aussi fatales furent au succès des Chrétiens tant occidentaux qu'orientaux les inimitiés du Comte de Tripoli. Ce dernier non content d'agiter tout le pays, fomenta de nouvelles discordes. Il employa toutes les perfidies, il répandit toutes les calomnies pour séparer les Latins de Léon, pour exciter les Sarrasins contre lui, en même temps qu'il brouilla, prétend-on, avec lui son vieux père qu'il finit par mettre de son côté 7. Il fit plus encore; il engagea les princes occidentaux, venus en O rient, à diriger une Croisade contre Léon. Parmi ces princes, sont cités par leurs noms; Renard, Comte de Dampierre et Jean de Nigellas. Ce dernier mourut de la fièvre dans le pays 8. Renard de Dampierre s'étant jeté témérairement avec quatre-vingts cavaliers sur les Sarrasins, près de Laodicée, fut fait prisonnier et conduit à Alep il resta, trente ans captif et ne rentra dans sa patrie que longtemps après 9.

Ensuite le Comte de Tripoli ramena à sa cause les Templiers que Léon avait gagnés en leur donnant des propriétés dans son pays pour une valeur de trente mille besants d'or. Ces Templiers avaient aidé Léon à chasser l' usurpateur et à remettre le vieux Bohémond III sur son trône. Le Comte les ayant fait revenir de son côté, les Templiers se tournèrent contre Léon et exigèrent de celui-ci la restitution de leur ancien domaine, la forteresse de Gasdim. Le Comte savait que Léon ne la leur rendrait jamais. C'était une formidable forteresse qui, seule, défendait les frontières d'Antioche. Léon, qui ne se méfiait aucunement des Templiers, se préparait alors à attaquer les Iconiens; c'était vers le mois de Juillet 1201. Ces derniers étaient en dissensions; le Sultan avait des démêlés avec ses fils. Léon invita donc les Templiers à se joindre à lui. Ils vinrent en hâte à Antioche et Léon alla à leur rencontre pour leur rendre les honneurs. Mais quel ne fut pas son étonnement lorsqu'au lieu de l'alliance qu'il en attendait, ils lui présentèrent une lettre (sans date) du Pape, par laquelle celui-ci lui faisait savoir que bien qu'il ait entendu son envoyé, Robert, et qu'il ait accueilli toutes les preuves que ce dernier lui avait apportées de sa part pour lui affirmer que Gasdim avait d'abord appartenu à son oncle Melèh et qu'ensuite il l'avait reprise aux Sarrasins, comme cette place avait été donnée aux Templiers, elle ne pouvait pas leur être retirée. Ainsi donc le Pontife Romain, avec sagesse et prudence et se servant de termes pleins de douceur, (auxquels Léon répondait plus tard: « mellifluis litteris vestris perspicue intelligimus », engageait notre Roi à rendre temporairement Gasdim aux chevaliers du Temple, lui promettant qu'il ferait juger la cause à sa cour ou par les Nonces qu'il allait envoyer bientôt en Orient, et à la sentence desquels il le priait de se soumettre 10.

Léon accepta d'attendre l'arrivée des Nonces pour juger la cause; il confia même Roupin aux Chevaliers pour qu'ils l'instruisissent dans l'art des armes. Cependant il les pria de se contenter pour le moment de toutes les possessions qu'il leur avait données, mais il leur promit en même temps de leur faire passer, jusqu'au jour la sentence, qui déciderait de la chose, aurait été prononcée, les revenus de la forteresse de Gasdim. De plus, il s'engagea à les aider à arracher aux Sarrasins le fort de Tarbessag et tout le territoire qui en dépendait, à la condition seule qu'ils vinssent avec lui maintenant combattre contre le Sultan d'Iconie. Les Templiers s'y refusèrent. Alors il leur demanda, puisqu'ils ne voulaient point marcher avec lui, de se charger de la défense de son pays, jusqu'à ce qu'il en eût fini avec les Musulmans. Les Templiers s'y refusèrent également avec opiniâtreté et retirèrent leurs troupes. Alors Léon leur tourna le dos et s'avança seul contre ses ennemis. Il revint en triomphe dans ses Etats et retrouva son pays en paix, tel qu'il l'avait quitté. Ensuite, il se retourna contre Antioche qu'il assiégea pendant trois mois, après lesquels, cédant aux instances des habitants et ne voulant pas contrarier le Pontife Romain, il s'en éloigna. C'est le seul motif, comme il l'a écrit lui-même, et non pas la crainte qui le fit se retirer.

Léon adressa une longue lettre au Pape pour lui faire part des év è nements qui venaient de se passer; il envoya cette lettre par le Chevalier Teuton Garnier, son ambassadeur. Dans cette lettre, il priait en même temps le Pontife Romain de lui mander, parmi les Nonces qui devaient venir lui rendre justice, le vieil archevêque de Mayence qui l'avait couronné roi. Il ignorait que celui-ci fût mort en 1200. Léon suppliait encore le Pape, car il paraît que le patriarche d'Antioche avait pris le parti du Comte de Tripoli et menaçait d'excommunier Léon et ses partisans, de retirer à quiconque, quel que soit le degré qu'il occuperait dans la hiérarchie ecclésiastique de l'Église latine, tout pouvoir d'excommunier lui et les siens, pas même les Latins qui résideraient dans ses Etats. Il demandait au Pape de lui confirmer par écrit qu'il faisait droit à cette demande. Il le priait encore de presser l'arrivée des auxiliaires des Croisés de l'Occident surtout en ce moment que les Sarrasins étaient en discorde et avaient des querelles entre eux; car, lorsque ceux-ci seraient réconciliés et unis, il ne serait plus possible, disait-il, de leur tenir tête.

Grégoire Abirad, le Catholicos, écrivit aussi de son côté, mais sous le point de vue religieux, une lettre au Pape, pour le remercier de l'honneur qu'il avait fait au Roi en lui envoyant la bannière apostolique. Dans cette lettre, Abirad appelait Léon le Vainqueur 11. L'Archevêque de Sis, Jean, qui succéda à Grégoire sur le siège pontifical, écrivit aussi dans le même sens au Pape 12. Le Catholicos fit également porter sa lettre par Garnier. Il priait le Pontife Romain de lui envoyer le pallium, la mitre et l'anneau et de faire partir des armées pour marcher avec le Roi contre les Sarrasins 13.

Les réponses aux trois lettres de Léon, d'Abirad et de Jean furent données par le Pape huit mois après, c'est-à-dire dans les premiers jours de l'an 1202. Le Pape accordait à chacun ce qu'il lui avait demandé et, après leur avoir donné satisfaction, leur annonçait la réunion des nouveaux Croisés à Venise, d'où ils allaient faire voile pour l'Orient et qu'avec ceux-ci partaient ses deux Nonces, les Cardinaux Sophrède 14 de l'Église de S. te Praxide, et Pierre, de S. Marcel. Il assurait Léon, par des paroles aimables, que personne n'aurait le pouvoir de l'excommunier que lui seul le Pape, ou son Nonce par une autorisation spéciale 15.

Ces lettres arrivèrent en Arménie quelques mois après qu'elles eurent été écrites. Dans l'espace d'une année, ainsi que quelques-uns le prétendent, était mort, en 1201, le vieux Bohémond III, après avoir maîtrisé son pays pendant cinquante deux ans. Son fils, le Comte de Tripoli, se sentant plus libre alors, poussa l'audace de ne tenir aucun compte des traités naguère conclus et s'empara du trône. Mais les plus sensés de ses ministres et des hauts personnages de la principauté l'abandonnèrent et vinrent se mettre au service de Léon. On cite entre autres le Chambellan Olivier, le Bouteiller Pagen, Roger de Mout, Thomas Le Brun, Guillaume de l'Isl e et Echouard. Le Comte n'en fit aucun cas et n'attendit même pas que les Nonces du Pape fussent arrivés et eussent rendu leur sentence.

Les Nonces n'arrivaient pas. Ils étaient partis de Venise avec les Croisés qui, au lieu de se hâter et d'accourir en Syrie, passèrent par la Dalmatie ils restèrent quelque temps. Ensuite ceux-ci eurent la guerre avec les Grecs, s'emparèrent de Constantinople et y mirent un Empereur latin. Ils n'arrivèrent que longtemps après, en 1203, en Palestine. Les Nonces les avaient précédés et étaient arrivés à Ptolémaïs vers la fin de l'année 1202.

Léon avait couru aux armes, ne pouvant souffrir plus longtemps l'audace du Comte de Tripoli qui, après avoir chassé le véritable héritier du trône, forçait encore les Antiochiens à lui jurer fidélité. Beaucoup d'entre eux avaient prononcé le serment, mais un plus grand nombre s'y refusèrent. Il en résulta une querelle terrible entre eux.

Les Nonces en ayant été informés, firent appeler à leur conseil les Maîtres des Hospitaliers et des Templiers. Mais n'ayant pu rien décider, Sophrède vint à Tripoli et invita les deux partis adverses à se rendre auprès de lui. Ceux-ci s'y étant refusés et n'ayant même pas répondu à son invitation, Sophrède leur envoya les deux évêques de Bethléem et d'Antarratos pour les engager à se présenter à lui 16.

Trois mois après, dans les premiers jours de Février 1203, le Comte arriva à Tripoli, non pas pour aller voir le Nonce mais pour ses affaires particulières. Tous les évêques l'avaient excommunié à cause de ses querelles avec les Hospitaliers. Sophrède, n'ayant rien pu obtenir, s'embarqua, après les jours de Pâques, accompagné d'un grand nombre de personnages nobles et sensés, et vint à Antioche se trouvait Léon qui assiégeait la ville. Le Nonce le pria de suspendre le siège jusqu'à ce que les pourparlers aient donné un résultat. Léon accorda un armistice de trois jours d'abord, puis de neuf jours pour laisser le temps d'arriver au Roi de Jérusalem. Pendant ces jours de répit, le Nonce s'entretint paisiblement avec Léon, qui ne lui demanda que de faire justice à Roupin et à sa mère. Il gardait sa parole pour tout ce qu'il avait promis au Pape; il s'en remettait à ce qu'auraient jugé les Légats du Pape, et les Barons qui devaient venir quelques jours après; il promettait enfin de venir en aide aux Croisés avec vingt mille hommes. Tous les compagnons de Sophrède, hormis un seul, donnaient raison à Léon. Ils allèrent jusqu'à dire au Cardinal que, ni le Pape ni le Nonce n'avaient le droit de s'ingérer dans cette affaire. Sophrède, confus, s'en retourna plein de tristesse avec son seul partisan à Margat, il tomba malade. Cependant il s'exprimait ainsi dans sa lettre au Pape: «Videbatur mihi petitio ejusdem Regis justa et admittenda; oblatio quoque utilis multum et fructuosa Christianitati ».

Quand Léon vit qu'il ne lui était point rendu justice, comme il l'avait espéré, il entra de force à Antioche le 11 Novembre 1203. Il nomma Alice tutrice de son fils, le prince Roupin. Le Comte de Tripoli eut grand'peine à garder sa vie sauve et alla se réfugier dans la citadelle que les Templiers avaient supérieurement fortifiée. Ces derniers y avaient déposé leurs étendards et résistèrent à Léon et à son armée dedans et dehors la ville et finirent, après trois jours de combat, par déloger Léon 17.

Le Roi, exaspéré, ordonna à ses soldats de reprendre les possessions dont il avait fait don à ces Chevaliers et de les chasser de son pays. C'est alors qu'arriva à Antioche l'autre Légat du Pape, le Cardinal Pierre qui fut bien accueilli par Léon. Le Cardinal convoqua immédiatement le Catholicos, les Evêques et les Barons et leur proposa aussitôt de consentir de nouveau à l'union de l'Église arménienne avec l'Église latine romaine. Après bien des discussions, le Catholicos qui était alors Jean VII et qui venait de succéder à Grégoire Abirad, se rendit. Il accepta en même temps d'envoyer à Rome, tous les cinq ans, un légat auprès du Pape et d'assister en personne aux conciles qui seraient tenus dorénavant, ou de s'y faire représenter par un légat. De son côté, le Catholicos exigea du Pape qu'il lui soit accordé qu'aucune assemblée ne puisse se tenir parmi des Latins de ce côté de la mer, sans la présence du Catholicos arménien ou de son légat. Lorsque les actes furent signés, Pierre remit d'abord le pallium au Catholicos et ensuite, la mitre et le bâton pastoral aux quatorze évêques présents, comme dons du Pape Innocent 18.

Quand les questions religieuses eurent reçu leur solution, on aborda la politique et l'on délibéra sur la question du principat d'Antioche. Léon, dès le commencement, en fit appeler au jugement du Pape, comme il le dit lui-même, et prit à témoin les Maîtres des ordres de chevalerie et les religieux de la Montagne-Noire. Le Cardinal Pierre posa trois demandes aux deux partis adverses: la première, s'ils voulaient s'entendre entre eux, ce qui du reste fut impossible; la seconde, s'ils voulaient s'en remettre à la décision du jugement qu'il aurait prise avec son collègue Sophrède, ce qui ne fut pas accepté non plus; en troisième lieu enfin, il leur demanda s'ils voulaient reconnaître l'autorité judiciaire qu'ils tenaient du Pape, lui et le Cardinal Sophrède, et leur fit voir le bref d'Innocent. Après quoi, il les invita à s'expliquer. Léon consentit à se soumettre au jugement des deux Cardinaux, s'ils voulaient tout d'abord expulser au-delà des frontières de la ville d'Antioche l'usurpateur du trône (Bohémond) et qu'ensuite ils pourraient prononcer leur sentence. Le Nonce ne trouva pas que cela fût à propos et pria le Roi de lui faire une autre proposition. Alors Léon reprit la parole et lui dit: « Vous, Cardinaux, vous êtes les Nonces du Saint-Père et moi, je suis le Roi des Arméniens; je vous confie les intérêts de mon petit-fils et ceux de sa mère. Jugez-les comme l'aurait fait le Pontife si nous eussions été présents devant lui et que nous l'eussions imploré pour cet orphelin et la veuve sa mère. Rendez votre sentence en faveur de qui vous aurez jugé la mériter et qu'Antioche soit à lui Les Antiochiens parlèrent de même. Alors les Nonces les ayant plus ou moins convaincus, leur ordonnèrent de faire cesser toute hostilité jusqu'à leur jugement et retournèrent ensuite à Ptolémaïs. C'est-là que se réunirent le Roi de Jérusalem, la princesse Marie de Flandre, femme de Baudouin qui, peu de temps après, occupa le trône de Constantinople, les Grand-Maîtres des Chevaliers et tous les grands personnages. Ils pressèrent les Nonces de s'arranger pour mettre fin à toutes les dissensions et d'unir les adversaires par un traité de paix. Ils mandèrent même alors un envoyé exprès, Sicard, évêque de Crémone, pour terminer l'affaire. Ce dernier s'y rendit et exigea par écrit des deux partis la promesse de conclure un armistice et de lui livrer des otages jusqu'au prononcé de la sentence, et les prévint que s'ils n'y consentaient pas, il allait les excommunier immédiatement. Le Roi se soumit, promit de cesser tout combat pendant quarante jours et de satisfaire aux demandes des Templiers. Quant au Comte, il ne voulut rien entendre ni connaître et ne se présenta même pas. Alors l'ambassadeur de Léon, Constance Gamardias, rappela au Nonce qu'il avait menacé d'excommunier quiconque n'obtempérerait pas à sa décision et que c'était précisément ce que faisait 1' obstiné Comte. Mais le Nonce n'osa pas mettre sa menace à exécution, car il croyait que la crainte de l' excommunication empêcherait le Comte de se présenter. Alléguant donc une affaire importante qui le rappelait à Constantinople, il se retira. Sophrède, le premier Légat, qui ne partageait pas la manière de voir de son collègue et qui n'était nullement satisfait de la façon avec laquelle Pierre, son compagnon, avait agi, se retira également et le suivit. Sophrède n'avait pas cessé de blâmer son collègue devant les autres évêques. Il disait clairement en plein conseil que ce que l'envoyé du Roi avait réclamé, c'est-à-dire l'excommunication du Comte était tout-à-fait un acte de justice. Il l'eût prononcée lui-même si l'autre cardinal y avait consenti, mais comme celui-ci ne l'avait pas approuvé, il se refusait à sièger plus longtemps au conseil 19.

Sophrède réussit cependant à mettre, pour un moment, la paix entre Léon et les Templiers, mais ils se brouillèrent de nouveau et en appelèrent à Rome même. Ainsi le mauvais vouloir d'abord, puis les dissentiments des compagnons de Sophrède, ainsi que les hésitations de Pierre et de l'Evêque de Crémone, en même temps que l'obstination du Comte borgne anéantirent l'occasion d'en finir avec ces querelles désastreuses. Léon qui, avec assez de modération, s'était soumis à tout ce qu'on exigeait, se montra d'autant plus grand en faisant voir clairement qu'il ne réclamait que la justice et qu'elle lui était bien due. L'hésitation des juges de cette affaire ne fut pas seulement cause que les débats se prolongèrent plus de dix ans au préjudice des deux partis adverses, mais encore au détriment des Croisés venus de loin ou de près, auxquels Léon avait fait la promesse de leur envoyer des dizaines de milliers d'hommes de renfort, comme l'avait fait auparavant son prédécesseur Thoros. Et, ces deux fois, les Latins, soit par imprudence, soit par cupidité, se privèrent de l'aide des Arméniens qui étaient alors dans la plénitude de leur force et n'étaient pas encore gâtés par les mauvais exemples et les mœurs dissolues des Occidentaux, ni affaiblis par les coups fréquents que leur devaient porter les Sultans d'Égypte, aux forces desquels les Croisés eux-mêmes ne purent pas résister longtemps.

A la question d'Antioche vint se mêler, comme nous l'avons dit, celle des Templiers. Celle-ci était en quelque manière plus vive et plus importante que l'autre. Les Templiers n'avaient pris le parti du Comte de Tripoli que parce que, malgré toutes leurs instances, Léon n'avait jamais voulu les écouter et les avait chassés du pays et de leurs possessions: ils ajoutaient écrire au Pape que Léon avait mis le feu à leurs provisions et enlevé leur bétail, qu'il leur avait ainsi causé un dommage de cinquante mille besants d'or: il avait fait plus: il avait mis à la torture quelques-uns de ces chevaliers; il avait mis le blocus devant deux de leurs forteresses appelées Rupes Willelmi et Rupes Ruissoli, et qui étaient situées sans doute entre les frontières de l'Arménie et celles d'Antioche 20.

Le Pape, grand protecteur des droits et des biens, mais en même temps toujours prompt à venger les torts dont on s'était rendu coupable envers les personnes faisant partie de l'Église, ainsi qu'étaient considérés les Templiers, écrivit à Léon, le 18 Janvier 1204, pour lui adresser des reproches, mais noblement, et faisant juges de cette affaire les évêques de Vallania et Biblia, villes de la Syrie, il l'exhorta à se soumettre à leur sentence. Ces évêques vinrent en effet; il paraît même que le Cardinal Pierre arriva aussi après eux. Ils avertirent Léon des volontés du Pontife. Le Roi, entrevoyant dans leur démarche quelque perfidie des Templiers, montra des difficultés à accorder son adhésion à ce que les évêques lui demandèrent, et ce ne fut qu'après qu'ils eurent insisté à deux ou trois reprises qu'il se décida à restituer aux Chevaliers tout ce qu'il leur avait pris, à condition toutefois que ces derniers ne contestassent plus les droits de son petit-fils 21. Les Templiers lui dirent grossièrement qu'ils ne cesseraient jamais de défendre les murs d'Antioche contre Léon. Léon qui ne s'était jamais dépouillé de ses griffes de lion, exaspéré, sut cependant se contenir pour le moment par un silence dédaigneux. Cependant Pierre le Légat qui, auparavant, s'était fait scrupule d'excommunier le Comte de Tripoli et s'était retiré à Constantinople, sans prêter maintenant l' oreille à l' appel de Léon au Pape, assembla un Conseil à Antioche sans y convoquer ni le Patriarche du lieu, ni le Catholicos des Arméniens, et se dépêcha d'excommunier les Arméniens. Non content de cela, il écrivit encore au Catholicos Jean de publier l'excommunication. A son tour, ce dernier réunit tous les siens et fit répondre à Pierre qu'il n'acceptait pas la sentence de son Conseil parce que toutes les conditions stipulées naguère n'avaient pas été observées, puisque le Catholicos arménien ni son Nonce n'avait assisté à ce Concile qui se tenait pourtant tout près des limites de leur territoire. Ensuite le Catholicos Jean et le roi Léon écrivirent au Pape qu'étant entrés dans le giron de l' Église-Mère ils espéraient goûter du lait et non pas du fiel. Dans un moment pareil, il ne restait à Léon qu'à élever la voix et à faire entendre un mugissement de plainte qui parvint aux oreilles du Cardinal plus prudent, Sophrède 22. Celui-ci se hâta de rappeler son collègue et tous deux retirèrent la sentence précipitée. Ils firent plus: dans le mois de Septembre, ils formèrent un Conseil à Ptolémaïs, ils y appelèrent les rois de Jérusalem et de Chypre et d'autres éminents personnages, ils y admirent l'envoyé de Léon, Constance Gamardias que notre Roi avait présenté comme étant son parent, et finirent par décider les Templiers à faire la paix avec Léon. Celui-ci, dans la lettre qu'il écrivit au Pape après tous ces événements, loue la grande prudence de Sophrède et blâme en revanche le Cardinal Pierre, qui non seulement avait mal jugé la cause, mais qui cherchait en quelque manière à l'éloigner de l'Église Romaine 23.

Léon assurait Innocent qu'il lui resterait toujours fidèle, mais il le priait de ne plus lui envoyer un Nonce du caractère de ce Pierre. Le Catholicos Jean écrivit également au Pape pour le remercier d'abord des présents qu'il en avait reçus et pour lui faire part de ce qui était passé dans le Conseil d'Antioche; il lui disait qu'il attendait la décision du Pape.

Après avoir renoué les bonnes relations entre Léon et les Templiers, les gens du dernier Conseil tenu à Ptolémaïs n'ayant pas pu obtenir de résultat dans l'affaire du Roi d'Arménie et du Comte de Tripoli, les Légats s'en retournèrent à Constantinople. Le Comte reprit alors immédiatement les hostilités. Les Templiers qui n'avaient fait que feindre une réconciliation avec Léon, se soulevèrent encore et la révolte s'étendit au loin, bouleversant d'un bout à l'autre les pays limitrophes. Nous tenons ceci simplement d'une lettre d'Innocent qu'il écrivit alors, en se plaignant des temps, à Philippe-Auguste, roi de France, et dans laquelle il le pressait de courir à la délivrance de la Terre-Sainte 24. Il est à remarquer que dans cette dernière lettre comme dans bien d'autres, le Pontife Romain appelle, ainsi que d'autres contemporains, Bohémond Comte de Tripoli et jamais Prince d'Antioche; ils reconnaissaient donc tout bas et quelquefois en le déclarant, les droits du jeune Roupin et de son bailli.

Léon écrivait à Innocent, à propos des hostilités des Templiers et pour lui montrer combien la conduite du légat Pierre avait été blâmable, que tandis que lui, Léon, obéissant aux ordres apportés par ce même Cardinal, avait cessé la guerre et déposé les armes, les Chevaliers de connivence non seulement avec les Antiochiens mais encore avec les Musulmans avaient brûlé Tuguria nostra de Gastim, et que c'était à cause de cela qu'il avait repris les armes. Il le priait donc de nommer juge de cette affaire le Cardinal Sophrède, le Patriarche d'Antioche, le Roi de Jérusalem et les Maîtres des Hospitaliers qui connaissaient la question 25. Mais Innocent qui voulait tout juger sûrement et rendre librement la sentence, n'était pas arrivé, paraît-il, à comprendre tous les droits de succession de Roupin, comme il le déclare dans une de ses lettres. C'est pour cela qu'il chargea ses Légats de vérifier profondément ces droits. Après les premiers Nonces, le Pape manda, le 5 Mars 1205, de nouveaux juges, deux barons: Bertholde et Foravalle 26, et les deux Abbés des monastères de Lucedio et du Mont-Thabor 27, en se plaignant de ses premiers Légats qui n'avaient pas pu donner une issue à la question et s'étaient hâtés de revenir à Constantinople, ce que, du reste, il ne leur avait pas ordonné de faire 28.

Le Pape ordonna à ses Légats d'aller engager les partis à jeter immédiatement les armes, à leur laisser trois mois de temps pour s'entendre et, s'ils n'arrivaient pas à ramener la concorde entre eux ou à pouvoir prononcer une sentence, de lui rapporter le jugement; et si quelqu'un ne se soumettait pas à leur décision, de lui infliger un châtiment par la force civile des Chrétiens 29. Innocent annonça tout ceci le même jour à Léon et dans des termes d'une grande noblesse et fort affectueux. Il lui annonçait, en outre, qu'il avait prié le Roi de Jérusalem, les Maîtres des deux ordres de Chevalerie et tous les Chrétiens du pays de venir en aide au parti qui se soumettrait au Pape et de dompter tout esprit d'obstination 30.

Innocent était particulièrement intéressé à ce que ces conflits fussent apaisés, comme il l'exprimait dans les lettres qu'il adressait aux autres, car cela apportait un obstacle à l'accomplissement de l'œuvre des Croisades et empêchait de faire la guerre aux Sarrasins. Il est vrai que les Croisés ne s'accordaient guère non plus entre eux. En 1203 un grand nombre de Flamands, arrivés sur soixante-six vaisseaux, s'étaient brouillés avec les autres. Ils avaient abandonné le corps principal de l'armée, à Ptolémaïs, et s'étaient rendus dans les Etats de Léon pour marcher avec lui contre le Comte de Tripoli. Les chefs de ces Croisés qui vinrent à Léon furent Jean de Neele 31 et le gendre d'Isaac Comnène, l'ex-Souverain de Chypre. Mais lorsqu'ils apprirent que leurs compagnons se préparaient à attaquer les Sarrasins, ils vinrent les rejoindre.

D'après les faits que nous venons de relater plus haut, on peut supposer que cette fois encore Léon avait cédé aux Légats. Le Comte de Tripoli persistait dans son refus de se présenter à la barre des juges. Sachant qu'il n'aurait rien à gagner devant les princes qui s'étaient mis du côté de Léon, il eut l'idée aussi pleine de hardiesse que d'astuce de se soustraire à la suprématie temporelle du Pape. Ayant été avisé de la prise de Constantinople et de l'élévation au trône impérial de cette capitale de Baudouin de Flandre, il se rendit secrètement à Ptolémaïs, chez la princesse Marie femme de Baudouin et prêta serment devant elle, comme si elle eût été le légat de 1' Empereur, de fidélité et de soumission, selon les coutumes féodales. Sa cause fut donc portée au jugement de l'Empereur d'Orient. Il s'en revint sans rien dire à personne. D'ailleurs, la Reine mourut le 29 Août 1204 avant même d'avoir en au front la couronne impériale et c'est dans un cercueil qu'elle fut portée à Constantinople 32.

L'histoire ne nous dit rien des propos échangés dans les réunions tenues par les nouveaux Légats du Pape à propos des affaires de Léon. Les lettres des années 1205 et 1206 manquent dans les Archives du Vatican. Il est bien probable que Léon céda aux instances des Légats, car il tenait à contenter celui qui les avait envoyés, ou bien parce que les affaires de son pays réclamaient sa présence, et qu'il jeta bas les armes pour quelque temps. Mais le Comte de Tripoli, à cette époque, au lieu de se gagner les Antiochiens, les avait singulièrement froissés en leur demandant de ne pas reconnaître les droits de succession du jeune Roupin. Il se les était aliénés, surtout les gens du clergé et le Patriarche, dont le Comte était le vassal selon les coutumes féodales. Il était même son filleul. Le Comte cherchait à s'attirer les bonnes grâces des Génois en leur promettant liberté de trafic dans la principauté d'Antioche, en leur prenant en location des vaisseaux de guerre pour se battre ou pour les lancer en maraude et trois cents soldats. Il leur avait, en outre, emprunté trois mille besants d'or 33.

Les Antiochiens ne pouvant plus souffrir les lâchetés du Comte, ni supporter les tribulations du blocus et la famine, car Léon n'avait pas levé le siège, envoyèrent des messagers à ce dernier pour lui dire de venir mettre sur le trône de leur pays son véritable héritier et leur maître, le jeune prince Roupin.

Sur ce point, notre historien royal, nous fournit des preuves admissibles, bien que différentes de ce que nous rapportent les autres historiens. Ce qu'il nous dit, sera, peut-être, un rayon de lumière pour l'histoire de la Principauté d'Antioche. En effet, il prétend que c'est pendant cette année 1205 que mourut le vieux prince Bohémond III, que tous les historiens de l'Occident croient être mort l'an 1201, comme, du reste, nous l'avons nous-même écrit aussi, et il poursuit ensuite le cours de son récit en s'accordant tout-à-fait avec les historiens d'Occident: « L'an 655 (de l'Ère arménienne 1205-6 de J. C. ) mourut le prince d'Antioche Bohémond. Son fils le Borgne qui était le Comte de Tripoli, lui succéda. Léon lui envoya la copie des traités de son père que ce dernier avait conclus d'accord avec le Roi, traités relatifs à la succession de l'enfant de son fils aîné, comme nous l'avons raconté. Le Comte refusa le traité et ne voulut point reconnaître les droits de Roupin. Alors le Roi envoya la lettre au Patriarche et lui fît voir les droits du jeune prince que le Patriarche reconnut, mais le Comte ne voulut rien entendre ».

Il raconte ensuite les démêlés de ce dernier avec le Patriarche, et comment celui-ci l'excommunia. Il dit que le Comte fit après cela emprisonner le Patriarche, il relate les hostilités de Léon, mais il ne parle pas de son entrée à Antioche, tandis que les historiens étrangers et même les lettres de Léon affirment ce fait 34.

Léon revint donc avec un grand nombre de soldats et entra sans rencontrer de résistance dans Antioche en 1206. Non seulement le clergé mais encore un grand nombre de barons et de chevaliers vinrent au-devant de lui et le firent entrer triomphalement dans la Cathédrale de S. Pierre. , Roupin jura au Patriarche qu'il lui rendrait les hommages qu'il lui devait selon les lois et en reçut la bannière princière. Les Barons lui prêtèrent, sur le Saint Evangile, serment de fidélité et de constante protection. Ensuite, toute cette multitude l'entourant de toute part, l'escorta en chantant jusqu'au trône sur lequel elle le fit asseoir à la place de l'ancien maître Bohémond III et le proclama prince d'Antioche. Le peuple et la principauté d'Antioche purent donc jouir d'un moment de paix, grâce à Léon qui non-seulement aida le jeune prince à reconquérir son trône mais fit des présents magnifiques aux barons et au clergé. Il fit aussi des largesses aux monastères de la Montagne-Noire. Léon autorisa encore le Patriarche à sacrer un nouvel évêque latin pour l'église de Tarse et à en nommer un à Mamestia. Il ordonna de prendre les traitements de ces deux évêques sur le trésor royal. Il restitua au monastère de S. Paul la fontaine de Gaston 35, avec tout son territoire; il restitua également aux Templiers la forteresse même de ce lieu et toutes les propriétés qu'il leur avait enlevées 36. Il rendit aux autres tout ce que lui-même ou le Comte de Tripoli leur avaient pris et s'en retourna victorieusement dans ses Etats. Դրամների նկարներ

C'est à cette époque, paraît-il, que Léon fit frapper des pièces de monnaie, portant une croix à la face et la légende en latin. Elles ressemblent absolument aux pièces de monnaie antiochienne, mais elles portaient le nom du roi de l'Arménie et avaient la même valeur que les anciennes monnaies de Sissouan.

En battant cette monnaie, Léon manifestait en silence sa puissance et sa grandeur. C'est ainsi que treize cents ans auparavant avait fait son ancêtre, Tigrane l'Arsacide, qui, s'empara du domaine des Séleucides et de leur capitale Antioche. Ce fait mémorable fut gravé sur la monnaie de Tigrane, sous la figure du fleuve Oronte, entouré d'une légende en grec, comme on le voit représenté sur cette pièce assez rare 37.

Léon fit annoncer par ses lettres au Pape ce qui venait d'arriver, et cita pour témoins les Chevaliers des deux ordres, en le priant de prendre en considération que c'était au Patriarche d'Antioche qu'il devait ce succès, en lui recommandant d'entourer son neveu de sa sollicitude, en lui demandant aussi de hâter l'expédition que devaient entreprendre les armées alliées contre les Sarrasins et d'accorder enfin la rémission des péchés à tous ceux qui viendraient l'appuyer.

Ce ne fut pas encore cette fois non plus que la malheureuse Antioche devait jouir longtemps de la paix. Le Comte de Tripoli se tenait caché dans la citadelle munie de tout le nécessaire et imprenable. Léon ne pouvait s'arrêter longtemps dans cette ville. Pour s'emparer de ce château par un assaut et pour le réduire en le serrant de près, il eût fallu de nombreuses troupes. Il arriva donc qu'après le départ de Léon, le Comte sortit de son embuscade. Oubliant tout ce qu'il devait de soumission et de respect au rang et au caractère du Patriarche, il réussit par ses manèges à remettre dans son parti les Templiers et d'autres alliés, résista aux habitants et s'empara de nouveau de la ville. Il se saisit de la personne du Patriarche et de ses deux neveux et les fit jeter en prison. Après quoi, il s'empara de tous les vases sacrées de l'église et des objets appartenant aux partisans du prince Roupin que ceux-ci avaient pu heureusement mettre en sûreté, en exposant leur vie, et qu'ils avaient fait conduire auprès de Léon. En toute justice alors et peut-être même auparavant, au dire de notre historien « le Patriarche excommunia le Comte. Il défendit de sonner les cloches, de célébrer la messe et d'inhumer les morts. Le Comte n'y prêta aucune attention, et son audace augmentant encore après tout ceci, il fit mettre en prison le Patriarche et lui fit endurer le martyre de la faim et de la soif. Il lui envoyait dire chaque jour: Déclare que je suis en tous droits le Prince d'Antioche, et tu seras mis en liberté. Le Patriarche n'y consentit jamais. Il ne voulut jamais mentir et resta en prison jusqu'à ce qu'il y mourut de faim et de soif. Après quoi il y eut une querelle extrême entre le Roi et le Prince ».

Le continuateur de l'Histoire de Guillaume de Tyr dit (XXI. 3) qu'on donnait un peu de nourriture au Patriarche, mais pas une goutte d'eau, au point qu'il fut obligé de boire l' huile de sa lampe et qu'il en mourut.

Cette triste nouvelle parvint bientôt à la cour du Pontife de Rome et y fut une nouvelle cause d'alarme. Plus le Pape s'efforçait d'activer l'expédition pour hâter la délivrance de Jérusalem, plus les troubles d'Antioche et les événements qui s'y passaient arrêtaient son zèle. Il écrivit alors, le 6 Février 1207, au Patriarche de Jérusalem, comme étant Légat de la Syrie, de faire tout ce qui lui serait possible pour mettre fin à toutes les dissensions qui existaient entre Léon (qu'il appelle son très-cher fils) et le Comte de Tripoli et ses partisans, les Templiers; de délivrer d'abord au plus vite leur frère, le Patriarche d'Antioche, et que si le Comte se refusait à le faire sortir de prison, de le frapper de tous les anathèmes de l'Église, puisque le Patriarche qu'il retenait en prison l'avait déjà excommunié, lui et tous ceux de son parti. Le Comte de Tripoli, sans égards pour rien, sans pitié, sans scrupules de conscience, fut plus cruel encore pour son prisonnier. Comme il l'avait déjà tenté auparavant pour s'affranchir de la suprématie temporelle du Pape, il reconnut pour seul souverain l'Empereur de Constantinople, il permit maintenant à un Patriarche grec de venir sièger à Antioche plutôt que d'y souffrir son coreligionnaire latin 38. Le patriarche grec essaya d'attirer à soi quelques Latins et excommunia les autres. Sur quoi, le Pape, par une nouvelle bulle du 4 Mars 1208 envoyée au même Légat, ordonna de chasser l'intrus de la province et ceux qui se seraient unis à lui et ne voudraient point s'en séparer, et le Comte de Tripoli avec eux.

Ainsi les deux partis se servaient des armes spirituelles et des armes temporelles pour se combattre, et tandis que leur guerre se prolongeait, le vertueux patriarche Pierre, finissait ses jours en prison; j'oserai dire en martyr, au commencement de l'année 1208 39. Il voulut rester fidèle aux droits de la justice.

La triste nouvelle de la mort du Patriarche vint aux oreilles du Pape qui ne put s'empêcher de s'écrier, n â vré de douleur, dans sa bulle du 12 Juin 1208: «O nobilis Antiochia, urbs perfecte decoris, et terræ quasi gaudium univers æ, quam graviter esse cerneris per tam grave ignobilitata flagitium, quam turpiter per tam turpe facinus offuscata ! Cui comparabimus te, vel cui tuam possumus miseriam adequare? Omnis gentis enim calumnia in medio tui est. Que cisterna facit frigidam aquam suam, ita militiam tuam frigidam reddidisti » 40. Ensuite, ajoutant d'autres paroles de reproches pour le Comte, le Pape ordonne à son Légat d'aller mettre un successeur sur le siège du défunt.

Le Légat se rendit donc à Antioche, convoqua le clergé, et Pierre II, évêque Yporiensis, fut élu patriarche. Le Pape confirma sa nomination par une autre bulle du 5 Mars 1209 41, dans laquelle il ordonne encore à son Légat d'essayer de mettre la paix entre Léon et le Comte et les Templiers ou de leur faire déposer les armes, en engageant le premier à rendre aux ordres tout ce qu'il leur avait pris et en menaçant les autres d'excommunication s'ils ne voulaient rester tranquilles.

Par une lettre adressée au Comte le 26 Mai 1209 42 le Pape menaçait l'usurpateur du trône d'Antioche de l'excommunier s'il n'acceptait pas le nouveau Patriarche élu et ne restituait pas ce qu'il avait volé aux églises et au clergé.

Dans toutes les lettres du Pontife de Rome, il n'y a aucune parole de menace contre Léon, au contraire il le traite de « Illustris Rex Armeniæ ». Quant au Comte, il se contente de lui donner le nom de fils. Le Pape avait écrit à celui-ci de restituer au Patriarche le Castrum Cursarii, qui appartenait au trône patriarcal, et comme il y avait des Arméniens et des Syriens qui habitaient ce Castrum, il leur écrivit à chacun séparément et sur le même ton 43.

De toutes ces lettres, la plus importante est celle qu'Innocent écrivit à Léon le 12 Juin 1209 44. C'est une de ces lettres que l'on peut dire pleines d'onction et du plus beau style; dans laquelle, l' affection envers celui à qui il écrit, la sagesse, l' amour de la justice et les mesures prises pour les intérêts publics se manifestent avec un égal éclat. On a vu qu'après que le Comte se fût emparé d'Antioche et en eût chassé Roupin, Léon, bien qu'il ne fût pas entré dans la ville et qu'il la tînt seulement assiégée, en ravageait les alentours, principalement pendant l'année 1209. Notre historien dit à ce sujet: « Cette année le Roi souleva une grande guerre contre les Antiochiens, il ravageait tous les alentours de leur ville et les villages. Il n'exterminait pas seulement les habitants, il détruisait encore les vignes et les arbres. Il continua à faire de la sorte pendant plusieurs années consécutives. Il exigeait de par ses droits et par la guerre le patrimoine du jeune Roupin. Mais il ne put fléchir le Comte Borgne, alors il assiégea et serra Antioche cette année et sans relâche ». En même temps, Léon adressait au Pape des plaintes contre le Comte et ses partisans les Templiers. Innocent répondit à Léon, qu'il craignait qu'Antioche, cause des discordes entre lui et les autres, ne vînt à être prise par les Sarrasins au plus grand détriment des Chrétiens: « Toi, dit-il, que l'Archevêque de Tarse et les Chevaliers Teutons par leurs lettres te montrent comme agissant en toute justice, tu veux t'excuser devant moi comme étant dans ton droit, et cependant les lois ecclésiastiques et civiles ne te considèrent point comme tel. Car tant que le Comte détient le gouvernement de la ville, il n'est pas juste de l'en chasser sans jugement, et il ne t'est pas permis de faire la guerre avec les armes et en même temps avec les droits 45. Ce n'est pas mon jugement personnel, mon très cher fils, car j'ai entendu celui de beaucoup d'autres personnes. Le Comte, de son côté, se plaint aussi et dit: Pourquoi Léon n'est-il pas excommunié puisqu'il me fait sans cesse la guerre, lui qui se montre toujours disposé à se soumettre à la sentence d'un jugement et de la justice? J'ai prié le Comte de remettre la citadelle entre les mains du patriarche Pierre qui est un homme grave, juste et impartial, d'en faire tenir la garnison par les chevaliers de l'Hôpital et ceux du Temple et de faire payer leurs traitements par les deux parties diverses. Jusqu'à ce que sentence soit prononcée, il faut que tu mettes bas les armes, et pour mettre fin aux hostilités des Templiers il faut que tu leur rendes la forteresse de Gaston, qu'ils possédaient depuis longtemps, depuis l'époque du pontificat du Pape Alexandre 46. Si cette forteresse ne leur est pas rendue, ils menacent de quitter la Terre-Sainte ils peuvent rendre des services. Tu te plains qu'on te fasse toujours la guerre, mais on ne te la fait que parce que tu la fais toi-même; car les armes appellent les armes. Les Templiers ne font que défendre Antioche parce qu'ils ont leurs propriétés dans sa province. Tout autre est la guerre qu'on soutient pour se défendre et celle qu'on entreprend pour attaquer 47. Ne crois pas que je vienne te dire par cela innocent le Comte, qui, ingrat envers son père et le Patriarche, s'est montré indigne d'avoir grâce, ou pour disculper les Templiers qui auraient , au lieu de te faire la guerre, avoir égard à la sainteté de leur ordre. Or donc, à cause de tout ceci, je donne ce conseil à ta Grandeur, en t'embrassant affectueusement, je t'exhorte en Dieu, d'accepter volontiers et en amour de la foi, tout ce que nous t'avons dit 48, et de cesser la guerre, quand bien même le Comte se refuserait à faire la reddition du château jusqu'à la fin du jugement, pour le quel Dieu veuille nous accorder de rencontrer un juge capable et impartial; auquel nous confions de soumettre aux châtiments ecclésiastiques tous ceux qui ne voudront point obéir, et de les y contraindre avec l'aide des habitants du pays et des étrangers » 49.

Ce juge impartial fut bientôt trouvé; ce fut le même qui était venu six ans auparavant pour remplir la même mission: Sicard, l'archevêque de Crémone, que le Pape désignait encore par un nouveau bref du 20 Août 1210 50, après avoir reçu les ambassadeurs de Léon, Héthoum-Elie, l'ancien Seigneur de Lambroun et maintenant Abbé de S. Maria-Trium-Arcium (Trazargue), Archibalde l'officier, et Bavon, le secrétaire du Roi pour la langue latine 51. Léon avait mandé au Pape ces grands personnages pour le prier de protéger les droits de son neveu, et pour qu'ainsi débarrassé de ce souci, il puisse tourner ses armes contre les ennemis des Chrétiens. Le Pape rappela à son Nonce tout ce que les ambassadeurs de Léon lui avaient dit à ce sujet, et lui ordonna de prendre avec lui deux autres personnes sensées et justes qui seraient choisies par les deux partis en contestation. Il lui recommanda de prononcer la sentence selon l'appréciation de tous les trois ou de deux seulement d'entre eux. Si les juges n'arrivaient pas à se mettre d'accord, ils devaient appeler le Patriarche de Jérusalem et celui d'Antioche pour mettre fin au jugement avec eux et prononcer une sentence irrévocable et exécutoire sous peine d'anathème. Si quelqu'un refusait de se soumettre à leur décision, ils devaient l'y contraindre par les armes des habitants du pays ou des étrangers. Et si quelque événement imprévu venait à arrêter le jugement, ils devaient les recommander aux deux Patriarches susdésignés 52.

Le Pape se souvenant combien les Arméniens avaient souffert par l'anathème lancé contre eux, écrivit le même jour, le 20 Août 1210, une courte lettre au Catholicos et à tout son clergé pour lui dire que: « Nullus omnino qui ordinariam vel delegatam jurisdictionem in eos vel vestros subditos non habuerit, sententiam ferre pr æ sumat ».

L'ambassade de l'Evêque de Crémone, comme celle des quatre Nonces du Pape, n'est pas mentionnée dans l'histoire. Le Pape ne cite plus le nom de l' Evêque de Crémone dans les lettres qu'il écrivit ensuite. Il est vrai qu'au moment du départ de cette nouvelle ambassade, les Arméniens et les Antiochiens se livraient une guerre acharnée. Roupin avec son titre de Prince d'Antioche, se trouvait à la Cour de Léon. A cette époque, pendant le mois de Septembre, comme maître d'Antioche, il publiait un édit qui affirmait les anciennes et les nouvelles donations aux Chevaliers de l'Hôpital et Léon contresignait cet édit 53. A cette même époque, le 3 Août 1210, le Pape déclarait authentiques les dons de Léon aux mêmes Chevaliers 54. Un peu plus tard, vers la fin de l'année, on attendait l'arrivée du nouveau Nonce ou celle du Patriarche de Jérusalem, en Arménie ou à Antioche, et l'on peut supposer que l'un ou l'autre soit venu, mais que l'on ne put rien conclure à cause de la ténacité des deux partis sur la valeur de leurs droits, ou que le Comte refusa encore cette fois de se soumettre à la sentence et qu'il poussa encore les Templiers sur Léon. Quoi qu'ait eu lieu, on voit clairement combien Léon était exaspéré contre ces fiers Chevaliers et combien il était dépité par ces inutiles pourparlers de part et d'autre, lui, qui croyait que toute la raison était de son côté et qui voyait qu'on disculpait le Comte plus qu'il ne le méritait, aussi bien que les Templiers. Ces derniers, comme on l'a remarqué précédemment, étaient regardés comme des personnages sacrés et grandement utiles par les services qu'ils pourraient rendre dans la guerre contre les Sarrasins. C'est pourquoi ils trouvaient toujours quelqu'un pour excuser leurs fautes. Aussi Léon, dégoûté de tous ces échanges d'avis prodigués sans résultat, jugea qu'il valait mieux de reprendre les hostilités, les armes à la main, et revint serrer de près les Chevaliers. Les doléances de ceux-ci arrivèrent bientôt à la cour du Pape qui se hâta d'envoyer son Légat de Syrie 55, le Patriarche de Jérusalem, pour essayer de trouver un moyen de réconcilier tout le monde. Mais Léon, ne voulut ni voir les envoyés des Chevaliers à leur arrivée, ni les entendre, ni leur répondre. Il avait donné l'ordre de reprendre les propriétés que ces Chevaliers avaient dans son pays et dans celui d'Antioche, entre autres le port de Bonel dont les Templiers tiraient de grands bénéfices. Léon mit une garnison dans leurs possessions et ne permit à personne ni d'entrer ni de sortir. Le Patriarche pria Léon de lever l'interdit du libre passage dans ces endroits, mais celui-ci n'écouta point sa demande. C'est alors que le Patriarche, selon l'autorité que lui avait conférée le Pape, se mit à menacer Léon de l'anathématiser selon les canons de l'Église. Il lui donna un délai de quelques jours pour faire acte de soumission. Le délai s'étant écoulé sans avoir changé la détermination de Léon, le Patriarche lança l'anathème et fit proclamer dans toute la ville de Jérusalem que celui qui s'aviserait de s'allier à Léon, le roi d'Arménie, contre les Templiers, serait excommunié.

Personne ne vint en aide à Léon, mais personne non plus ne lui fit opposition. Alors il n'en fut que plus acharné contre les Chevaliers; il s'empara de toutes leurs possessions et de tous leurs revenus. Il n'y eut que deux châteaux-forts qu'il ne parvint pas à occuper. Ensuite, il envahit la province d'Antioche et ravagea toutes leurs terres et détruisit toutes leurs récoltes. Quelques Templiers en se retirant dans leurs forteresses, furent surpris par des Arméniens embusqués dans un défilé qui leur tuèrent un d'entre eux et leur en blessèrent d'autres, parmi lesquels leur Grand-Maître 56. Quand le Pape eut appris ces év è nements, il crut devoir intervenir. Il écrivit aussitôt, le 18 Mai 1211, à son Légat, le Patriarche, de recommander aux évêques de Syrie, et même au Catholicos des Arméniens de proclamer dans leurs diocèses l'excommunication dont était frappé Léon, et de dire à Jean, roi de Jérusalem et aux autres princes de faire ce qu'ils pourraient pour arracher des mains de Léon les revenus des Templiers, ou de fournir eux-mêmes à ceux-ci leurs traitements. D'après Eracles (XXXI, 7), Jean, roi de Jérusalem, envoya en aide aux Templiers cinquante cavaliers sous le commandement de Geoffroy de Caffran et d'Amion d'Ays et que Léon, les ayant vus venir, cessa de combattre et s'éloigna de la citadelle.

Que l'arrivée de ces cavaliers eût eu lieu en réalité, ce ne fut dans tous les cas qu'un certain temps après et non à ce moment-là. C'est-à-dire, qu'ils ne vinrent que lorsque Léon tentait déjà de se réconcilier avec le Pape qui, au contraire, voyant que Léon avait chassé de son propre pays avec les Chevaliers leurs partisans et les Latins, et craignant que dans sa colère il ne s'en prît aussi au clergé d'Antioche et le chassât de cette ville, prévoyant encore que sa séparation d'avec les Latins donnerait occasion aux voisins d'Antioche, au Sultan d'Alep, Mélik Daher, fils de Saladin, de s'emparer de cette cité, écrivit au Sultan: « Bien que tu ne sois pas chrétien, cependant tu entoures les Chrétiens de ta sollicitude, tu auras donc des égards pour les Antiochiens et tu ne les tourmenteras point » 57.

Ce que Innocent avait appréhendé, eut lieu en effet. Léon, qui mit le frein à l'arrogance des Templiers et sut dompter leur mutinerie, trouva le chemin ouvert pour s'emparer d'Antioche. Bien qu'il se fût engagé par traité et juré au Patriarche de mettre bas les armes, il se considéra comme libéré de tout par les événements qui venaient de s'accomplir. D'ailleurs, Léon se crut quitte de son serment et il crut pouvoir, soit par la ruse, soit par l'intermédiaire d'autres, s'emparer de cette ville qui fut cause de tant de catastrophes. Dans tous les cas, il ne voulut pas s'y montrer, car il voulut sauver les apparences.

La lettre de réprimandes d'Innocent à Léon, donnée le 22 Février de la seizième année de son pontificat, nous apprend comment Léon s'empara d'Antioche. D'après cette lettre 58, il n'était pas allé s'en rendre maître en personne, il y avait envoyé une nombreuse armée et Roupin avec elle; cette armée devait placer celui-ci sur le trône 59. Elle ne causa pas moins de dommages aux habitants ordinaires qu'aux ecclésiastiques d'Antioche, car elle leur emporta leurs biens, et, comme butin, une somme de plus de cent mille besants d'or (plus d'un million de francs). On ne dit pas se trouvait alors le Comte, surnommé Bohémond IV, ni ce qu'il fit en ces circonstances. Innocent dans sa lettre, reprochait à Léon d'avoir violé le traité conclu, avant que le délai convenu ne fût expiré; il lui reprochait d'avoir chassé le nouvel archevêque de Tarse et d'avoir distribué les revenus de ce prélat à ses soldats, de n'avoir point tenu compte de l'anathème dont il avait été frappé pour s'être emparé des propriétés et des revenus des Templiers. Il lui conseillait ensuite, il le priait, il le conjurait de sortir de cette voie 60, de rendre à ces derniers leurs biens, comme les siens au Patriarche d'Antioche. Il l'avertissait que si cette fois, il résistait encore, il avait donné l'ordre au Patriarche de Jérusalem et à l'Archevêque de Tyr d'excommunier doublement lui, Roupin et les principaux de ses conseillers. Le Pape avait écrit également au Roi de Jérusalem, à celui de Chypre et aux autres barons de fuir Léon et de chercher le moyen de faire rentrer les Templiers dans leurs biens.

Pendant que Léon était en dissension avec les Latins, il paraît qu'il aurait défendu formellement à tout étranger de sortir de ses Etats ou d'y rentrer sans une autorisation délivrée par lui-même. C'est du moins ce que nous rapporte le chanoine Willebrand qui fut l'hôte de Léon à cette époque, c'est-à-dire de 1211 à 1212 61.

Il demeure évident, par les premières lettres que le Pape envoya à Léon, qu'Innocent avait une affection réelle pour notre roi, à cause de ce qu'il s'était uni à son Église et à cause aussi de l'aide qu'il comptait qu'il apporterait aux Croisés. Il est donc certain que le Pape avait eu la main forcée lorsqu'il lui avait écrit ce que nous avons vu en dernier lieu et qu'il n'avait pas fait cela de son plein gré. Le commencement de sa lettre nous l'indique clairement, il y dit: « Invite ac dolenter tibi negamus apostolic æ salutationis et benedictionis alloquiam ». Cependant cinq jours après, le 27 Mars 1213, le Pape, en légalisant la donation par Léon aux Chevaliers Teutons de la forteresse d'Amouda, s'exprime ainsi vis-à-vis de Léon dans sa lettre: « Carissimo filio nostro in Christo. Leoni illustri Rege Armenie pia liberalitate collata, etc » 62. L'affection réciproque de Léon et du Pape et leur respect l'un envers l'autre étaient sincères. Non seulement Léon reconnaissait la haute supériorité de rang d'Innocent, mais il admirait les qualités de son cœur et de son esprit et ses vertus. Bien qu'avant de recevoir la lettre du Pontife Romain, il était considéré comme excommunié, il ne tarda pas à effacer les effets de cet anathème, par respect pour la haute intelligence d'Innocent, dont il se regardait comme le nouveau fils. On prétend que Léon écrivit aussi des lettres de regret au Patriarche de Jérusalem et que celui-ci en lit part au Pape en l'assurant de sa bonne volonté et du repentir du Roi, et que le Pape écrivit à son tour au Patriarche, la même année 1213, la lettre ne porte pas la date du mois, 63 de délivrer Léon des censures de l'Église, après que celui-ci eût fait la promesse de se réconcilier avec le Patriarche d'Antioche et les Templiers. En effet, ce Patriarche et le Roi reprirent leurs bons rapports.

Toutefois on laissa en suspens la question de la principauté de Roupin. On se borna à réfuter les allégations du Comte de Tripoli et montrer la fausseté de ses prétentions. Le Comte avait été appelé par le Patriarche pour être entendu avec Roupin. Il prétendit que non seulement il était vassal de l'Empereur d'Orient et qu'ainsi personne autre que l'Empereur n'avait le droit de le juger, mais encore que l'Empereur avait écrit au Pape de ne plus le frapper, lui le Comte, des anathèmes de l'Église. Le Pape prouva que tout ce que ce dernier alléguait pour se disculper était sans fondement et que tous les crimes dont il s'était rendu coupable jusqu'alors lui méritaient de ne plus être écouté.

On ne sait pas, toutefois, ce qui fut décidé à propos de cette interminable question; car la fin de la lettre pontificale, qui aurait pu nous l'apprendre, nous manque malheureusement, soit qu'elle a î t été omise dans la publication, soit qu'elle manquât dans les Archives. Il paraît seulement que Léon, par déférence pour Innocent, se retira généreusement de la question, laissant aux autres le soin de faire valoir leurs droits. Une lettre du Pape au Comte de Tripoli, remise le 28 Janvier 1213 64 pour l'Abbé du Couvent de S. Paul à Antioche, fait voir que le Comte se trouvait alors dans cette ville. En revanche, deux ans après, pendant le mois de Mars 1215, c'est Léon qui est à Antioche en qualité de témoin pour les édits que Roupin donne comme prince d'Antioche, aux Chevaliers de l'Hôpital 65. Dans ces écrits bien que le nom de la ville il a été donné ne soit pas indiqué, on trouve cités comme témoins le Patriarche et les Barons d'Antioche. Il est encore plus évident que pendant la même année 1215 cette lettre encore ne porte pas la date du mois, Innocent adressa une lettre à Léon, en même temps qu'une autre au roi de Jérusalem, pour les prier d'envoyer des vaisseaux au secours du Patriarche de Jérusalem, son Légat. Bien qu'il ne nous soit resté que l' en-tête de cette lettre à Léon, cela nous suffit pour nous faire entrevoir que l'accord et l'amitié s'étaient rétablis entre celui qui écrivait et celui à qui il écrivait.

Or donc, fut-ce en 1213 ou en 1215, le Comte s'était emparé d'Antioche; toutefois, au commencement de l'année suivante, en 1216 et pour la dernière fois 66, «En le mois de Février, le 14 de ce mois 67, à la fête de la Présentation de la S. te Vierge, le roi Léon s'empara d'Antioche, par son adresse et par son habileté. Car, ce qu'il ne put obtenir auparavant par de grands combats, il l'obtint ensuite par les grands présents et les promesses qu'il fit à quelques-uns des princes qui lui ouvrirent les portes de la ville pendant la nuit. Léon y entra avec une nombreuse armée, garda les portes et toutes les tourelles qui cernaient les bastions, remplit les rues de la ville d'une grande foule de soldats, sans que les habitants s'en fussent aperçus, et, lorsque le matin arriva, ils virent toute la ville pleine de soldats et en furent tout surpris. On ne fit de mal à personne et on ne toucha aux biens d'aucun. Alors le Patriarche et tous les princes reçurent et accompagnèrent Léon et Roupin au temple de S. Pierre. le Patriarche sacra Roupin, prince d'Antioche et tous lui prêtèrent serment comme à leur souverain. Ceux qui s'étaient réfugiés dans la Citadelle y restèrent quelques jours, puis ils vinrent se rendre à Roupin et s'humilier devant lui. Quant au roi Léon, se voyant enfin arrivé au terme des contestations, il était tout joyeux du succès que le Ciel lui avait accordé » 68. Cet év è nement ressemble à celui qui eut lieu dix ans avant, en 1206, et dont Léon écrivit tous les détails au Pape Innocent. Peut-être que ce sacre dont il est fait mention ici, signifie quelque chose de plus que la remise de la bannière, car Roupin avait été déjà depuis longtemps couronné par Léon qui avait posé sur son front la couronne donnée par l'Empereur.

La plus grande joie de Léon lui fut causée par la prise de la Citadelle. Il est évident que le Comte s'en était évadé et qu'il ne s'y trouvait pas 69. Qu'il fut trois ans sans pouvoir y rentrer, mais qu'ensuite il put y pénétrer et s'en rendit maître sans coup férir, Léon n'était plus alors en position de s'y opposer, car sa mort était proche.

Léon se réjouissait encore d'avoir achevé une œuvre qui lui avait coûté tant de peines et tant de fatigues. Personne, du reste, ne lui avait fait opposition. Le Patriarche était las des manèges du Comte; les Templiers avaient été pleinement dédommagés de leurs pertes. Bien que l'entrée dans Antioche eût été effectuée furtivement, la réception fut manifeste. Le premier des notables qui prirent parti pour Léon, fut le sénéchal d'Antioche, probablement le père du milicien Archivald, qui était entré au service de Léon et que nous avons vu, dans les années 1210 et 1211, faire partie de l'ambassade de Héthoum-Elie envoyée à l'Empereur et au Pontife Romain.

Celui-ci (Innocent), qu'avait-il pensé de cette entrée de Léon dans Antioche et de cette prise de la possession paternelle par Roupin ? En eut-il connaissance dans les derniers mois qui lui restaient à vivre ? Car il mourut la même année, étant allé pendant le mois de Mai, à Pérouse, il tomba malade parce qu'il ne prit aucun soin de sa personne. La mort, arrivée le 16 ou 17 Juillet, fut un grand deuil pour son époque. Innocent laissa un nom illustre aux siècles futurs. Nous ajouterons qu'il tint une grande place dans notre histoire, que sa mémoire a été conservée dans notre Église et dans notre nation. A ce moment-là un pareil personnage était nécessaire aux Arméniens et à Léon aussi. Le sort de notre Roi, eût peut-être été tout autre s'il n'avait pas eu des relations avec ce Pontife généreux et prudent. Léon en avait reçu des faveurs et des réprimandes, mais il lui avait procuré bien des tourments. Les contestations à propos d'Antioche furent préjudiciables à l'un comme à l'autre de ces deux puissants personnages; elles firent péricliter la prospérité du nouveau royaume de l'un, elles arrêtèrent l' autre dans l' achèvement de l'œuvre de la croisade et reculèrent la délivrance de Jérusalem, dont le Pape avait fait l'objet de toutes ses espérances, de tout son zèle; il y avait consacré les dix-huit années de son pontificat, il s'y attachait encore lorsque la mort vint le surprendre.

Si l'on devait juger les choses d'après ce qu'en pensait son successeur, Honoré III, qui ne pouvait ignorer rien de ce qui venait de s'accomplir, il faudrait supposer qu'Innocent ne désapprouva pas les derniers actes de Léon. Ce n'est pas seulement à Léon que Honoré prodigue les éloges, dans la lettre qu'il lui adressa le 25 Juillet 1217, il félicite chaudement encore Roupin, prince d'Antioche, et il recommande à Léon de couvrir le jeune prince de toute sa sollicitude pour que celui-ci devienne semblable à lui. Puis, le Pontife Romain acquiescant à la demande du jeune prince d'Antioche, le met sous la protection des Hospitaliers qu'il prie de le servir dans tous ses besoins. Dans cette lettre, il n'est nullement parlé du Comte de Tripoli.

Trois ans après tous ces évènements, quand Léon était près de fermer les yeux pour toujours, il fut informé que Roupin avait été de nouveau chassé d'Antioche. Mais tous les soucis de ce monde étaient finis pour le Roi.

Cette guerre contre Antioche avait été pour Léon plus longue et plus pénible que la fameuse guerre de Troie ne l' avait été pour les guerriers de jadis. A quatre ou cinq reprises il avait été repoussé, mais il avait fini par s'emparer de cette ville d'Antioche qu'il avait remise entre les mains de son maître et souverain légitime. Roupin, parvenu à sa majorité, devait dorénavant la soumettre et la gouverner ou la perdre pour toujours. En s'emparant de cette ville et en humiliant celui qui la lui disputait, Léon fit voir à tous ceux qui pouvaient concevoir des soupçons contre lui, que ce n'était pas pour agrandir son royaume qu'il avait entrepris cette périlleuse campagne. La plus grande victoire qu'il ait obtenu fut celle qu'il remporta sur sa propre personne, lorsqu'il vainquit son caractère indomptable, lorsqu'il réprima toutes les ambitions de son cœur, pour complaire à un personnage plus haut que lui, le Pontife de Rome, qu'il ne considérait pas seulement comme un père, mais comme celui qui de la part de Dieu lui-même l'avait couronné. Si Léon eût été ce que prétend Guiragos, un hypocrite, un être indomptable et obstiné comme Bohémond de Tripoli, il aurait pu s'affranchir de l'autorité papale en s'appuyant sur ses droits qui militaient plus en sa faveur qu'en celle des autres aux yeux des gens sensés et intelligents, il aurait pu, dis-je, s'emparer d'Antioche par la force et l'habileté, alors qu'il venait d'affaiblir les forces et de faire tomber l'orgueil des Templiers et qu'il s'était fait des Hospitaliers ses reconnaissants alliés. D'autant plus encore que Léon avait vu incidemment que d'autres peuples attachés au Pape soit par nationalité, soit par la langue, soit par le rite ecclésiastique, outre le Comte de Tripoli, ne tenaient aucun compte de ses anathêmes, de ses exhortations, de ses ordres, et que toute l'armée et la flotte de la quatrième Croisade, prenant une tout autre route que celle de la Syrie, malgré les ordres du Pape Innocent, allaient assiéger Zara, et que le vieux Doge Dandolo préférait châtier des révoltés ou passer son temps ailleurs que de courir à la délivrance de la Terre-Sainte; que les Croisés étaient allés s'emparer de Constantinople et de l'Empire d'Orient, et que, lorsque les Légats du Pape protestèrent contre cet agissement, on leur répondit que c'était par ce chemin que les Croisés iraient à Jérusalem; puis qu'après tout cela, après s'être gorgés de butin, après avoir conquis des pays, ils demandaient pardon au Pape dont ils avaient trompé les espérances et dérangé les vues ! Léon, dis-je encore, qui avait vu tout cela se passer chez les Occidentaux, resta plus fidèle au Pape que ces derniers et, moralement, son triomphe fut au-dessus du leur. Voilà, peut-être, la plus grande victoire de Léon, voilà le plus beau joyau de la Couronne de notre Roi ! Nous avons bon gré mal gré suivre le cours de cette longue question d'Antioche et abandonner un moment le récit de l'histoire du pays proprement dit de notre Roi, il nous faut maintenant le reprendre pour apprécier Léon dans ce qu'il accomplit à l'intérieur de ses Etats. Cela nous donnera une idée plus exacte de ce que fut ce grand Roi.

1 Ernoul (ch. XXIX) le dit clairement.

2 Léon écrivait à Innocent III: «In his Templarii et Hospitalarii a rationis tramine non dissentientes, præmissa mala postposuerunt et nobiscum pacem inierunt. Postea congregato exercitu nostro, tandiu laboravimus invigilantes, quoadusque Principem in principali sede sua sedere et in civitatem suam honorifice recipi cognovimus».

3 Lettres d'Innocent II, 252. Hürter, Histoire d'Innocent III.

4 Je ne saurais dire si ce fût cette lettre de Léon ou une autre écrite précédemment, qu'un historien dit avoir été présentée au Pape par les Ambassadeurs, pendant que le Pontife se trouvait à Bologne. Le même historien prétend que les Ambassadeurs arméniens auraient été reçus en même temps que les Ambassadeurs du roi Pierre d'Aragon. (Voir Faleoni, Memorie historiche della Chiesa di Bologna).

5 Nos igitur tuæ devotionis sinceritate confisi ad petitionem dilecti filii Roberti de Margat, militis, nuntii tui, in nostræ dilectionis indicium, Vexillum Beati Petri tuæ Serenitati dirigimus; quo in hostis Crucis duntaxat utaris, et eamdem studeas contumaciam, cum Dei auxilio, suffragantibus Apostolorum Principis meritum, refrenare. Datum Laterani, XVI Kalend. Januari. (Lettres d'Innocent III, II, 253, 256).

6 La bannière de S. Pierre, dont il est fait mention dès le VII siècle, et qui fut envoyée, comme présent et comme encouragement, par le Pape à différents rois, est un drapeau portant comme emblème deux clefs et l'image de S. Pierre au-dessus ou une croix. Le Pape Innocent III avait envoyé à Jean, Roi des Valakes, une bannière avec emblème de clefs et de croix. On pourrait supposer que telle fut aussi la bannière envoyée à Léon. Au Vatican, dit-on, il y aurait un bas-relief de marbre, datant du pontificat d'Innocent III et représentant l'Église portant d'une main une bannière des clefs sont brodées et portant une croix à la pointe de sa hampe. D'autres prétendent que les plus anciens emblèmes des Papes étaient l'image des deux grands Apôtres.

7 Lettres d'Innocent III, V, 42. Hürter, III.

8 Il mourut en 1203, dans les derniers jours de Mai ou dans les premiers de Juin.

9 Ricoaldi, chez Muratori.

10 Cette lettre du Pape avait été écrite au mois d'Octobre de la même année, c'est-à-dire en 1203.

11 Certissime scimus ... quia diligitis in Christo nostrum dilectum filium Leonem Triumphantem, Regem Armeniæ.

12 Lettres d'Innocent III, V, 42, 44.

13 Lettres V, 44, 47.

14 Sophrède était issu de la noble famille des Sophrède de Pistoya et avait reçu la pourpre cardinalice en 1182. Il mourut en 1210.

15 Lettres d'Innocent, V, 43.

16 Lettre des Nonces au Pape. Hürter, VIII.

17 MCCIII. Entra le Roy Lyvon on Anthioce devers le chastel, le jour S. Martin et prist tant que au temple, et demoura dedens III jours. Chroniques des Croisades.

18 Nous tenons ce détail de Sicard, évêque de Crémone, ordonné l'an 1185, mort en 1215.

19 Tandem ego Soffredus, advocatis seorsum Domino Cardinali (Petro), Cæsariensi archiepiscopo, episcopo Cremonensi et Acconensi electo, firmiter proposui eis, quod ego coram Deo et eis de hoc facto excusatus esse volebam, et Videbatur mihi pro certo, quod insiantia prœdicti Nuntii justa esset et admittenda: et ego paratus eram, si placeret Domino Cardinali, quod petebatur efficere, pro eo quod sic fuerat communi deliberatione nostra, Hierusalem Regis, Templariorum, Hospitaliorum, Baronum, peregrinorum qui Accone aderant, irrevocabiliter statum atque firmatum, nec debebat taliter et sic solemniter statum pro utilitate Christianitatis, inefficax esse et illusorium. Lettres des Nonces au Pape.

20 Lettres d'Innocent, VII, 179.

21 Lettre de Léon en 1204. Hürter, VIII.

22 Léon, dans sa lettre au Pape, écrivait: «Que enim cum ad notitiam Domini Sophredi Cardinalis et Legati devenisset, moleste tulit, et, habito consilio cum Domino Petro collegato suo, ad se accedente, quia instantissime ad audientiam vestram appellabamus, procellam in auram, consilio Domini Cardinalis, convertere studuerunt».

23 Quamquam Dominus Petrus Cardinalis ab ea (Romana Ecclesia) nos eliminare laboret.

24 Ad cumulum autein majoris timoris et doloris accedit, quod inter Comitem Tripolitanum et regem Armniæ qui pro Antiocheno Principatu contendunt, tanta viget discordia, tantaque geritur guerra, ut ille pugillus hominum, qui remansit in terra, quasi totus sit divisus ad pugnam. Nam Templari favent Comitem, et Hospitalarii favent Regi: Antiochenus populus sequitur viam Comitis, et Patriarcha prosequitur partem Regis. Filius autem Saladini qui est Soldanus Aleppiæ, Tripolitanum adjuvare videtur, sed eumdem impugnat dominus de Nefin* (imprimé Denefin). Acta Innoc. III. An. VIII, 125).

* Nefin était une célèbre forteresse située à deux lieues de Tripoli, sur la crête d'une colline. On en voit encore les ruines près du village d' Anfé.

25 Raynald, 1205, XXXIII. Lettres d'Innocent, VIII, 119-120.

26 On trouve ce nom écrit de différentes manières: Foravalle, Fornivall, Fornivalle, Furnivalt et Firruallis.

27 Il y avait sur cette montagne un monastère de Bénédictins-Cîteaux.

28 Dans une lettre particulière du 12 Juillet 1205, le Pape renouvelait ces mêmes plaintes et faisait ces mêmes reproches au Cardinal Pierre.

29 Lettres d'Innocent, VIII, 1.

30 Lettres d'Innocent, VIII, 2.

31 Johan de Neele ala séjourner en Ermenie, et fu avec le roi d'Ermenie au siège qui fu devant Antioche. La furent veues ses banieres sur le mur d'Antioche, si come aucunes gens dient; dont il en ot grand blasme en la terre d'Outre mer, que si prudhome, come il etait ne deust mie estre en l'aide dou roi d'Ermenie contre le prince d'Antioche. Eracles XVIII, 6.

32 Hürter VIII, d'après Albéric.

33 Quelques-uns prétendent que c'est pendant le premier blocus d'Antioche que le Comte les aurait loués et qu'avec leur renfort, il eût pu repousser Léon. Mais alors je ne pourrai plus comprendre comment les Génois se soient montrés si ingrats envers Léon, de qui, peu d'années auparavant, ils avaient reçu l'édit de liberté de trafic dans son pays, édit que Léon renouvela en 1215, en comblant ces Génois de faveurs encore plus grandes.

34 Raynald, l'an 1205, XXXVI-XXXIX.

35 Nous avons parlé plus haut, p. 124, de cette fontaine de Gastone.

36 Castellum de Gastum, quod super paganos acquisivimus et propter guerram nunc usque detenuimus, restituimus Templariis et facti sumus amici ad invicem. (Lettre de Léon à Innocent III, en la série des lettres du Pape, X, 214).

37 On trouve beaucoup de pièces de monnaie frappées par Tigrane en argent et en bronze, mais celle que nous représentons est des plus rares. Le Roi y est représenté portant sur sa tête cette fameuse tiare qui n'est point comme celle des autres, unie et droite, mais, comme on le voit, ornée de nœuds et ployée en divers endroits, ce qu'un antiquaire arménien trouve très-remarquable. On ne connaît qu'un seul spécimen de la monnaie de billon de Léon: cette pièce unique est conservée actuellement dans le musée d'un prince allemand.

38 Lettres d'Innocent, X, 9.

39 Lettres d'Innocent, XV, 181.

40 Lettres d'Innocent, XI, 110.

41 Lettres d'Innocent, XII, 8.

42 Lettres d'Innocent, XII, 39.

43 Lettres d'Innocent, XII, 38, 39.

44 Lettres d'Innocent, XII, 45. (Voir la longue lettre à la fin du Volume. Appendice B).

45 Simul non sit et armis et legibus contendendum.

46 Alexandre fut Pape pendant les années 1159-1181.

47 «Longe aliud sit difendere quam offendere, ac repugnare sit quam " impugnare diversam». Léon se plaignit d'être sans cesse en butte à des hostilités, mais le clergé d'Antioche, à son tour, se plaignait au Pape des mauvaises actions et de l'arrogance des Chevaliers. Ces derniers allaient jusqu'à dire qu'on devait leur ouvrir les portes de la ville et des églises, bien qu'ils fussent excommuniés. (Hürter II, 359. Traduction italienne).

48 Monemus ergo Celsitudinem tuam quam sincere dilectionis brachiis amplexamur, et exortamur in Domino, etc.

49 Si quam vero partium tam necessario et sano consilio noluerit acquiescere, per censuram ecclesiasticam, et tam per indigenos quam etiam peregrinos eam præcipimus exerceri.

50 Lettres d'Innocent, XIII, 123.

51 Qui devaient se rendre en Allemagne auprès de l'empereur Othon.

52 Lettres d'Innocent, XIV, 33.

53 Cartulaire, p. 132. Lettres d'Innocent, XIII, 119.

54 Cartulaire, p. 114.

55 Lettres d'Innocent, XIV, 33, 64, 66.

56 Le Maître, à cette époque, était Philippe de Plessis.

57 Lettres d'Innocent, XIV, 69.

58 Lettres d'Innocent, XVI, 2.

59 In terram Antiochiæ, Rupinum nepotem tuum cum non parve exercitu transmisisti.

60 Serenitatem tuam monemus, rogamus et exortamus in Domino, etc.

61 Ita ut hospes, si terram intraverit, absque regia bulla exire non possit. Willebrand.

62 Cartulaire, p. 121.

63 Lettres d'Innocent, XV, 19.

64 Lettres d'Innocent, XV, 19.

65 Cartulaire, p. 135.

66 Notre historien royal, d'accord avec les Occidentaux, mentionne ce fait.

67 Selon le calandrier et le rite arméniens.

68 Que la prise d'Antioche ait eu lieu à cette époque, c'est ce qu'affirme un des copistes de notre Rituel, qui faisait la copie de ce livre à Bayas, pendant le cours de la même année. Voici ce qu'il dit: «L'année 665 (1216-1217) pendant laquelle, avec l'aide du Seigneur, notre victorieux roi Léon prit Antioche, la grande Capitale des Syriens». Nersès Balientz, dans sa Chronique, dit de même, en avançant d'une année le couronnement de Léon. Il s'exprime ainsi: «La vingt et unième année de son règne, Léon s'empara par la ruse de la grande Antioche et y mit sur le trône le prince Roupin, petit-neveu de son frère». Un autre copiste encore d'un Evangéliaire, l'année après, en 1217, a écrit: «Sous le règne de notre roi couronné par le Seigneur, Léon fils de Stéphané, frère du Grand Roupin qui est maître, par sa puissance royale, de toutes les provinces de la Cilicie et de la Grande Antioche; que sa mémoire soit bénie et que son nom se répande de générations en générations».

69 L'histoire rapporte qu'en 1217, le Comte fut invité par André, Roi de Hongrie, et par d'autres princes, et qu'il se rendit à la guerre contre les Sarrasins, puisque l'année suivante, à la fête de la Présentation de la S. te Vierge, il se trouvait à Tripoli il contracta un second mariage avec Mélissinde, fille d'Amaury, Roi de Chypre, et de la reine Isabelle.